assertion
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Du latin adsertio, de adserere, « affirmer ». En logique, concept introduit par Frege qui en fit un double usage, logique et pragmatique, qu'il convient aujourd'hui de séparer nettement.
Linguistique, Logique
Opération qui consiste à poser la vérité d'une proposition.
Usage logique
La Begriffsschrift analyse tout jugement en un contenu assertable, représenté par un tiret horizontal : – A, et en un acte de jugement, représenté par la barre verticale initiale : ⊦ A. Soit le contenu relatif à la mort de Socrate, le jugement correspondant asserte « Socrate est mort » et signifie la reconnaissance de sa vérité. On ne confondra pas assertion et affirmation. L'affirmation, représentée par le simple tiret horizontal – A, s'applique au contenu assertable et est l'opposé de la négation, marquée par un petit tiret vertical inférieur. On peut asserter aussi bien un jugement affirmatif que négatif(1).
Conformément à Frege, la logique contemporaine définit l'affirmation et la négation comme des fonctions de vérité. Si la négation inverse la valeur de vérité (si p est vraie, alors ~p est fausse et réciproquement), l'affirmation la conserve (si p est vraie, p est vraie ; si p est fausse, p est fausse) [comme l'affirmation ne modifie pas la valeur de vérité, elle est rarement représentée symboliquement]. Quant à l'assertion, elle vaut pour le jugement entier et s'applique aux axiomes et aux théorèmes logiques. On peut toutefois s'interroger sur ce sens logique de l'assertion. En vertu de quoi asserter tel contenu propositionnel ? Dès 1919, Lesniewski parla, à propos des assertions des Principia Mathematica, de « confession déductive des auteurs de la théorie en question »(2). Peu après, en 1921, Wittgenstein récusa l'emploi métalinguistique du signe d'assertion : « Le “signe de jugement” [Urteilstrich] frégéen est dépourvu de signification logique »(3). Depuis, la logique contemporaine réduit l'usage proprement logique du symbole frégéen à la seule opération syntaxique de déduction par application mécanique dans un système donné du modus ponens : « S'il existe une déduction d'une formule donnée B à partir de A1,..., Am, nous disons que B est déductible à partir de A1,..., Am. En symboles : A1,..., Am, B. Le signe peut se lire “déduit” »(4).
Usage pragmatique
Frege esquissa aussi une analyse pragmatique de l'assertion. Toute science est réponse à des questions et toute réponse s'exprime par une assertion qui constitue un engagement sur la vérité de la pensée proposée. Cette assertion est l'expression d'un jugement explicitement tenu pour un acte qui s'opère par le discours et qui suppose la référence à un locuteur déterminé en un contexte d'usage spécifié(5) : le locuteur impose une « force assertive » [behauptende Kraft] à son dire. S'en inspirant, Austin introduisit par généralisation son concept central de force illocutoire(6). Dans la théorie des actes de discours, l'assertion n'est plus qu'un type d'acte parmi d'autres, définissable selon le schéma searlien, par (p) où (p) représente le contenu propositionnel. Conformément à Frege, on peut avoir aussi bien (p) que (~p). À quoi s'ajoute la négation illocutoire, forme négative de l'assertion, d'où ¬F(p) ou ¬F(~p)(7).
Toutefois, cette définition est loin d'épuiser toute la richesse de l'assertion. Celle-ci ne peut s'appréhender de façon monologique à partir du seul locuteur. Peirce, déjà, insistait sur sa dimension dialogique d'engagement sur la vérité à l'égard d'un interlocuteur(8). De plus, s'engager sur la vérité impose de définir les conditions de véridicité de ce qu'on avance. Quel tiers permet de trancher dans le débat qu'une assertion peut ouvrir ? De même, l'assertion est soumise à une condition de sincérité. Moore rappelait déjà qu'on ne peut asserter p et ne pas croire que p(9). Comment s'assurer alors de la véracité du locuteur ? Et doit-on condamner le mensonge ?(10).
Denis Vernant
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Frege, G., Begriffsschrift (1897), trad. partielle in Logique et fondements des mathématiques, Rivenc, F. et de Rouilhan, P., Payot, Paris, 1992, § 2, pp. 103-106 et § 7, pp. 113-114.
- 2 ↑ Lesniewski, S., Sur les fondements de la mathématique, trad. Kalinowski, G., Hermès, Paris, 1989, p. 39.
- 3 ↑ Wittgenstein, L., Tractatus logico-philosophicus, trad. Granger, G., Gallimard, Paris, 1993, p. 442.
- 4 ↑ Kleene, S. C, Logique mathématique, A. Colin, Paris, 1971, chap. I, § 9, p. 44.
- 5 ↑ Frege, G., « Recherches logiques », 1918-1919, in Écrits logiques et philosophiques, trad. Imbert, C., Seuil, Paris, 1971, pp. 175-176 et 205, note 1.
- 6 ↑ Austin, J.-L., Quand dire, c'est faire (1962), trad. G. Lane, Seuil, Paris, 1970.
- 7 ↑ Frege, G., les Actes de langage (1969), trad. H. Pauchard, Hermann, Paris, 1972, pp. 71-72.
- 8 ↑ Brock, J. E., « An Introduction to Peirce's Theory of Speech Acts », Transaction of the C.S. Peirce Society, 1981, XVII, no 4, pp. 319-326.
- 9 ↑ Daval, R., Moore et la philosophie analytique, PUF, Paris, 1997, chap. VII, pp. 91-97.
- 10 ↑ Vernant, D., Du Discours à l'action, PUF, Paris, 1997, chap. II et IV.
→ acte de discours, affirmation, déduction, illocutoire (acte), négation