éliminativisme

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».

Métaphysique, Philosophie de l'Esprit

Doctrine considérant que tout ce que certains philosophes considèrent comme irréductible, conceptuellement ou ontologiquement, à des objets, à des propriétés ou à des processus matériels, est en droit réductible (car il n'existe que des choses matérielles) et le sera un jour (car la science progresse).

L'éliminativisme est la forme contemporaine du matérialisme. Il est lié au positivisme, voire au scientisme. Pour R. Rorty : « Il n'est pas plus absurde de dire “Personne n'a jamais ressenti de douleur” que de dire “Personne n'a jamais vu de démon”, si nous avons une réponse adéquate à la question : “De quoi parlais-je en disant avoir ressenti une douleur ?”. À cette question, la science du futur peut répondre : Vous parliez de l'occurrence d'un certain processus neuronal, et cela nous rendrait la vie plus simple si, dans le futur, vous disiez : “Mes fibres C sont excitées” plutôt que de dire : “J'ai mal”. »(1) Si l'éliminativiste a raison, notre façon courante de parler des états mentaux et des processus psychologiques, autrement dit : notre psychologie commune, disparaîtra lorsque les sciences de l'esprit auront atteint leur plein développement.

Une raison d'adopter cette thèse tient à l'avantage qu'on croit trouver dans la perspective d'une théorie unifiée de la science. À défaut de penser les désirs, par exemple, en termes de mouvements moléculaires, nous aurions toujours deux domaines irréductibles, celui du mental et celui du physique, et les lois de la sciences ne s'appliqueraient pas à toute la réalité. L'éliminativisme est étroitement lié à l'idée d'une unité de la science dont le paradigme est constitué par les sciences physiques. L'éliminativiste est donc moniste en épistémologie : il n'existe qu'une seule méthode vraiment scientifique, celle de l'explication causale. Mais il accepte aussi une certaine métaphysique, moniste, selon laquelle il n'existe rien d'autre que la réalité matérielle.

L'histoire des sciences pourrait ainsi être interprétée comme manifestant un mouvement général de la pensée scientifique dans le sens de cette réductibilité du mental au physique. Pour S. Stich : « L'astronomie populaire était fausse, et pas seulement sur des points de détail. La conception générale du cosmos comprise dans la sagesse populaire de l'Occident était complètement et absolument erronée. On peut en dire autant de la biologie populaire, de la chimie populaire et de la physique populaire. Aussi merveilleuses et imaginatives qu'ont pu être théories et spéculations populaires, elles sont apparues ridiculement fausses dans tous les domaines pour lesquels nous avons aujourd'hui une science sophistiquée. »(2) Pour P. Churchland, de même que la notion d'impetus a disparu de l'explication scientifique, celle de conscience elle aussi disparaîtra(3).

Au moins sous une de ses formes, le dualisme psychophysique accepte la thèse selon laquelle il existe des processus strictement physiques parallèles aux processus mentaux et s'interroge simplement sur la façon de relier les deux. À la limite, un dualisme psychophysique peut accepter l'intégralité de la position éliminativiste, sauf la doctrine que l'explication physique épuise la réalité (c'est-à-dire en refusant le matérialisme). Une façon plus radicale de s'opposer à l'éliminativisme sans renoncer au monisme ontologique matérialiste se trouve chez Davidson. Pour ce dernier, si tous les événements mentaux sont identiques à des événements physiques, l'irrréductibilité est conceptuelle : une description d'un événement mental ne peut être réduite à la description d'un événement physique.

L'éliminativiste semble croire que lorsque quelqu'un dit qu'il a mal, le concept de douleur n'est pas normatif. Or, si la psychologie commune est irréductible, ce n'est pas parce qu'elle prétendrait à la vérité au même titre que la psychologie scientifique, mais parce que les concepts psychologiques sont aussi des normes et même des évaluations de nos comportements. Une norme et une évaluation ne sont évidemment pas quelque chose de physique.

Roger Pouivet

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Rorty, R., « Mind-Body Identity, Privacy, and Categories », Review of Metaphysics, 19, 1, 1965.
  • 2 ↑ Stich, S., From Folk Psychology to Cognitive Science, MIT Press, Cambridge (MA), 1983, p. 229.
  • 3 ↑ Churchland, P., Neurophilosophy, trad. PUF, Paris, 1999 ; Matter and Consciousness, trad. Matière et conscience, Champ Vallon, Nîmes, 1998.

→ double aspect (théorie du), esprit, matérialisme, norme, physicalisme, survenance

→  expliquer et comprendre