séquence

(du lat. sequentia, « ce qui suit » l'alléluia)

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la musique ».

1. Pièce strophique d'une structure particulière chantée à certaines fêtes après l'alléluia ou le trait de la messe. Le nombre des séquences est aujourd'hui réduit à 5, mais leur nombre était auparavant considérable (on en a recensé environ 4 500), et leur structure elle-même a fortement varié depuis l'invention du genre à Saint-Gall au ixe siècle par Notker le Bègue (→ SAINT-GALL).

On hésite à ranger parmi les séquences les « prosules » primitives antérieures, consistant simplement à doter syllabiquement de paroles les mélodies vocalisées ou « neumes » (neumae, du gr. pneuma, « souffle ») supportées par le e du kyrie et surtout le a de l'alléluia, tantôt en conservant le mot kyrie ou alléluia (solution préférée par les Latins), tantôt en le remplaçant lui aussi (solution préférée par les Germains). Il s'agit là de tropes d'adaptation, dans lesquels la mélodie originale n'est pas modifiée ; ces « prosules », comme on les nommera plus tard, sont en général assonancées au modèle, e pour le kyrie, a pour l'alléluia, sans rythme particulier. On discute également si le terme longissimae melodiae, employé par Notker pour désigner les mélodies sur lesquelles il a travaillé, désigne un genre particulier, qui reste hypothétique ­ les exemples cités étant généralement postérieurs à l'invention de la séquence et semblant être des « mélismes séquentiels » résultant de la suppression a posteriori des paroles de la séquence développée, et non l'inverse ­, ou bien si, comme il est probable, le terme est un simple adjectif s'appliquant normalement aux mélodies usuelles.

On s'accorde, en revanche, à faire crédit au récit de Notker lorsqu'il nous narre son initiative, non seulement de doter de paroles syllabiques la mélodie vocalisée de l'alléluia, comme le faisait Jumièges, mais d'en tirer une forme nouvelle. Il développe, en effet, cette mélodie pour construire à partir de ses éléments une forme semi-strophique caractérisée par un groupement de versets en paires, la mélodie de chaque strophe impaire se répétant sur la suivante paire et sur elle seule. Le trope d'adaptation de Jumièges se voyait ainsi transformé en trope de développement, et chaque cellule du modèle donnait lieu à répétitions avec variations ou adaptations, en insérant des clausules intermédiaires ou terminales en cours de route. Comme les tropes d'adaptation, les premières séquences étaient habituellement assonancées en a, souvenir de l'alléluia générateur.

Après quelque temps, le souvenir de l'alléluia se perdit et la séquence, conservant sa forme, devint une composition libre, toujours soumise à la répétition binaire des versets. Dans le même temps, l'assonance en a disparaissait pour faire place à des rimes régulières. Ainsi se forma la séquence de transition, dont un spécimen a été conservé parmi les séquences rescapées du concile de Trente : le Victimae paschali laudes attribué au chapelain bourguignon Wipo († v. 1060), rimé mais non rythmé. Sa structure qui semble irrégulière dans la version conservée ne l'était pas à l'origine, car on en a assez tôt dérangé l'ordonnance en supprimant, par courtoisie envers les juifs, une strophe où ils étaient traités de menteurs.

Au cours du xiie siècle intervint une transformation importante : la séquence adopta de manière généralisée un type de vers nouveau, à la fois rimé et rythmé, basé sur un retour régulier de l'accent toutes les 2 syllabes, ce qui ne devait pas tarder à se décalquer à son tour sur le rythme musical : l'accentuée tendit à s'allonger et à devenir une longue de 2 temps, d'où cette ternarisation générale du rythme qu'on retrouvera chez les trouveurs comme dans les « modes rythmiques » des motets d'Ars antiqua. À l'exception près déjà citée, toutes les séquences conservées appartiennent à ce type dit de nouvelle séquence : rythmons par exemple le Veni Sancte Spiritus, nous trouverons VEni SANCte SPIriTUS/, ET eMITte CEliTUS / LUcis TUae RAdiUM. Il en est de même partout.

Le nombre des séquences, accru par d'abondantes compositions de caractère local, n'a cessé de s'accroître du ixe au xiiie siècle au moins, bien que les mélodies fussent souvent reprises pour de nouveaux textes : une séquence comme Laetabundus était passée au rang d'un véritable timbre, sur lequel on refaisait constamment des paroles nouvelles (on en fit et même de profanes, voire parodiques, jusqu'au xvie siècle). Saint-Gall et Saint-Martial de Limoges avaient été les principaux producteurs de l'ancienne séquence, l'abbaye Saint-Victor de Paris s'illustra particulièrement dans la nouvelle avec le frère Adam dit Adam de Saint-Victor († 1177), mais aucune des séquences d'Adam n'a été conservée, alors qu'on a retenu l'adaptation de l'une d'elles, laudes Crucis attollamus, devenue Lauda Sion salvatorem ; il est vrai que la paternité même du Laudes crucis lui a été contestée au bénéfice du « primat » Hugues d'Orléans.

L'abondance du répertoire incita, au xvie siècle, le concile de Trente à considérer la séquence comme un genre parasite et à en décider l'élimination. Seules furent alors sauvées les deux séquences déjà mentionnées (Victimae paschali et Lauda Sion), et deux autres séquences du xiiie siècle : l'une, Veni Sancte Spiritus, qui avait pour auteur l'archevêque de Cantorbéry Etienne Langton († 1228) avait détrôné pour la Pentecôte le Sancti Spiritus adsit nobis gratia de Notker, qui avait été l'un des prototypes de la séquence ancien style. L'autre, Dies irae, dite « prose des morts », est restée jusqu'au temps du romantisme le type parfait de ce qu'on croyait être le plain-chant. En fait, c'est un remaniement tardif, attribué par les uns au franciscain Jacopone de Todi († 1306), par les autres au cardinal Malabranca (Latino Orsini), ce qui en avancerait la date de plus d'un siècle (le cardinal était le beau-père naturel de Laurent de Médicis, né en 1449). On y trouve en effet une refaçon d'un ancien versus carolingien du répertoire de Saint-Martial de Limoges, le versus de die judicii, appartenant à un cycle de pièces sur le Jugement dernier dont les ramifications s'étendent jusqu'à Aniane, mêlée à des souvenirs du répons de l'office des morts, Libera me Domine.

Une cinquième séquence, Stabat Mater, attribuée au frère franciscain Jacopone de Todi († 1306) n'est entrée que tardivement à l'office (Benoît XIII, 1727 ; à noter que Benoît XIII était lui aussi un Orsini). En tant que séquence, elle est passée inaperçue, tandis que, transformée de bonne heure en cantique strophique avec une mélodie de caractère populaire, elle est devenue sous cette forme l'un des chants les plus répandus de la semaine sainte (V. STABAT MATER).

On voit que la séquence, à la fin du xiie siècle, était devenue une forme musicale et littéraire tout autant qu'un genre liturgique. Il n'est donc pas étonnant que son influence se soit étendue sur d'autres formes musicales étrangères à la liturgie, et même à des formes de danse comme l'estampie du xiiie siècle. On la retrouve aussi dans le lai lyrique et il n'est pas interdit d'en suivre le prolongement jusque dans les formes binaires de la construction classique, qui nous vaudront l'Hymne à la joie de la 9e Symphonie de Beethoven.

2. Ensemble mélodique ou harmonique découpé dans un ensemble plus vaste tout en restant cohérent. Le terme a été quelque temps employé, en harmonie, pour désigner une cellule destinée à se reproduire sur d'autres degrés ­ une marche harmonique, par exemple, était considérée comme formée d'une succession de séquences ; sous l'influence du vocabulaire cinématographique, le terme tend à se généraliser, sans rencontrer pour autant l'adhésion générale ; Messiaen notamment y proclame son hostilité.