Louis de Rouvroy, duc de Saint-Simon

Louis de Rouvroy, duc de Saint-Simon
Louis de Rouvroy, duc de Saint-Simon

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».

Mémorialiste français (Paris 1675 – id. 1755).

Fils d'un page de Louis XIII (créé duc et pair parce qu'il savait, à la chasse, présenter mieux que les autres son cheval au souverain), il reçoit une éducation plus soignée que celle des jeunes gens de son rang et, très jeune, se lie d'amitié avec le duc de Chartres, le futur Régent. Mousquetaire à 16 ans, maître de camp à 18, il se distingue au siège de Namur et à la bataille de Neerwinden (1692), dont il écrit une Relation à l'intention de sa mère et de Rancé – le réformateur de la Trappe avec qui il restera toujours en relation. Muté dans l'armée d'Allemagne sous les ordres du maréchal de Lorge, il épouse la fille de celui-ci (1695), mariage qui lui apporte, outre une belle dot, un beau-père influent, trois enfants et un solide amour conjugal. En 1702, mécontent de n'être pas promu « brigadier » (général), il quitte le service et partage son temps entre la cour et son château de la Ferté-Vidame. Saint-Simon se fait alors l'observateur impitoyable de la cour des dernières années du règne de Louis XIV et de Mme de Maintenon, années sombres, empoisonnées par les deuils et les revers. Avec la mort en 1712 du duc de Bourgogne et la marginalisation de ses proches (Fénelon), il perd son plus grand espoir politique. Certes, ses liens avec le Régent le rapprochent du pouvoir, mais son influence réelle et son rôle politique effectif ne seront pas à la mesure de ses ambitions ni de ses projets de réforme. Éclipsé par Dubois, Saint-Simon n'est qu'une parodie de ministre voué aux emplois décoratifs : lit de justice en 1718, ambassade à Madrid (1721-1722) qui lui inspire un Tableau de la cour d'Espagne, suivi, à son retour, d'études sur la noblesse (Des prérogatives que les ducs ont perdues, etc.). À la mort du Régent, il quitte le gouvernement des roués pour son château de La Ferté-Vidame : pendant trente-deux ans, attristé par la mort de sa femme et de ses deux fils, ce « Tacite à la Shakespeare » (Sainte-Beuve), « écrivant à la diable pour l'immortalité » (Chateaubriand), notant les petits faits avec une passion qu'il s'est longtemps reprochée (il confia ses doutes et ses angoisses à Rancé), va chercher à comprendre après coup un temps qu'il exècre (« un règne de vile bourgeoisie ») et un roi (Louis XIV) qui le rebute assez pour qu'il ne campe jamais son portrait en pied, mais qui l'obsède au point de faire sentir partout sa présence formidable et diffuse. En 1739 commence ainsi la rédaction des Mémoires, qui s'achèvera en 1752, mais ne seront publiés dans leur intégralité qu'en 1829.

Un style à images et à ellipses

Entièrement pénétré de sa conscience de classe, Saint-Simon met au jour le dessein constant de la monarchie absolue depuis Richelieu : la mise à l'écart de la grande aristocratie. Il rejoint les thèses des « germanistes », tels Boulainvilliers et Montesquieu : l'absolutisme détruit l'ordre fondamental et naturel de la société, qui unit le roi et sa noblesse, et, privant la monarchie de son assise, et la liberté de ses garants, laisse face à face le peuple et le monarque. Car ce passéiste se bat aussi pour la liberté, la sienne, celle des ducs et pairs (c'est un « ducomane », dira Stendhal), mais aussi, pense-t-il, celle du roi et des sujets. La lucidité et la hargne du mémorialiste à l'égard de la Cour et de son cérémonial ne se comprennent que par cette idéologie et la conscience de sa propre situation. Comme le fera bien plus tard Proust, Saint-Simon lit l'histoire dans les signes sociaux les plus imperceptibles de la mondanité. Le ressentiment, qui fait son génie, donne sa couleur à une immense fresque historique. L'écriture baroque bouscule tous les académismes, se débarrasse des conventions du goût et ne dédaigne pas d'emprunter des mots à un passé plus truculent. L'originalité du style est alors l'image de la solitude de l'homme – c'est là qu'apparaît, dans l'éloignement et la pudeur, un sujet d'autobiographie que cache la discrétion du mémorialiste. Saint-Simon se bat contre la mort qui l'a saisi tout vif avec son monde.