sacré

Ce qui a un caractère sacré ; le domaine des choses sacrées.

L'emploi de la notion de sacré par les historiens des religions, les théologiens, les sociologues et les ethnologues en montre l'ambiguïté et aussi l'importance : le « sacré » est le fondement incontournable de toute religion. Il est impossible de définir absolument le concept ; on le saisit là où il se manifeste : dans le langage et les actions humaines. Dans chaque expérience religieuse, la ligne de partage entre ce qui est tenu pour sacré et ce qui est profane est fixée empiriquement : elle varie selon les lieux et les époques, modelant plus ou moins largement la vie quotidienne. Elle marque les grands moments du temps : les saisons, le jour, la nuit, le cycle de fécondité mais aussi les moments de toute existence : naissance, mariage, mort et même le corps humain. Donc, le sacré est un fait, observable et analysable. C'est une réalité double : il est le lieu où réside une force efficace, manifestation d'une puissance divine, d'une énergie créatrice que l'homme ne comprend pas et qu'il craint parce qu'elle lui reste cachée ; et un phénomène que définissent les pratiques et les rites par lesquels, justement, l'homme tâche de se rendre favorables les dieux (le dieu) ou d'éviter, au moins, qu'ils ne lui soient hostiles.

C'est précisément la fonction de toute religion que d'établir la relation entre l'homme et les (la) puissances supérieures et de fournir les moyens de reconnaître ce qui est investi de l'énergie divine. La frontière du sacré et du profane dépend du désir de l'homme et du choix des sociétés dans lesquelles il vit ; elle est liée aussi à l'expérience intime que le fidèle fait du divin. Le sacré est le lien médiateur entre le profane et le divin ; toute religion est ainsi une connaissance qui procure à l'homme un sentiment de sécurité dans un monde qui lui paraît d'autant plus dangereux qu'il n'en est pas le maître. Phénomène humain, en ce sens qu'elle sous-tend des actions rituelles et des langages particuliers, la religion apparaît comme la réponse de l'homme à ce que sa condition fait de lui : un être limité et fini. Elle lui permet d'assurer la cohérence de son moi en s'identifiant à une réalité plus vaste et plus durable que lui-même. Elle est l'ensemble des règles qui unissent l'homme et le divin par la définition du sacré.

Les actions rituelles

Les rites religieux ont pour but d'introduire l'homme dans la zone du sacré où il entre en communication avec le divin. Le plus souvent ces rites sont censés reproduire un geste divin, ou l'action d'un ancêtre, geste primordial et fondateur. Ce sont donc des actions qui règlent les rapports de l'homme avec la divinité, actions codifiées par une tradition fixée depuis longtemps et transmise à chaque génération. C'est en particulier la fonction de nombreux rites d'initiation, ceux qui réglementent l'entrée dans la classe des adultes et dont le contenu et la forme varient selon le sexe des enfants, et les initiations religieuses, dont le but est de délivrer une connaissance des mythes ou des Écritures permettant une approche du divin. Mais d'autres rites visent soit à maîtriser, à purifier, à récupérer le temps, soit à aménager l'espace, qui est l'autre dimension fondamentale par rapport à quoi l'homme doit toujours se situer : le but des rites est alors la mise en ordre ou le maintien de l'ordre, après le chaos originel.

L'un des rites les plus importants est le sacrifice : étymologiquement le mot signifie « faire du sacré », en prenant une victime animale ou une offrande végétale, pour l'offrir à une divinité. Dans tous les systèmes religieux, le sacrifice est précédé de rites d'introduction dans la zone du sacré pour séparer celui qui offre du monde habituel des hommes ; et il est suivi de rites de purification qui réintroduisent celui qui a offert le sacrifice dans la communauté humaine dont il a été le porte-parole. Le sacrifice marque donc le passage d'un don, du monde des hommes dans la zone où les hommes rencontrent le divin.

La prière est un autre mode de communication entre l'homme et Dieu. Elle est, de toutes les actions rituelles, la plus communément répandue, toujours étroitement liée avec l'offrande, le sacrifice. Les intentions qui l'animent sont multiples : prière de louange, d'invocation et de demande, d'action de grâce, ou conjuratoire pour écarter un mal, de pénitence et de repentir pour apaiser la divinité irritée.

Nature et fonction des mythes

La connaissance des sociétés archaïques et traditionnelles a révélé l'importance et la signification des mythes en montrant leur liaison avec les actions rituelles et les institutions qui régissent la vie des sociétés humaines. Le mythe, perçu comme une histoire à laquelle il faut prêter foi, entraîne des rites et fait partie d'un système de représentations religieuses. Loin de penser, comme on l'affirmait jadis, que les mythes sont les fables de l'humanité, ou des histoires enjolivées des temps passés, les mythes sont tenus aujourd'hui pour des réalités vécues par les hommes, à la fois langage et modèle, formes d'action et de vie. Ils sont porteurs d'une vérité qui constitue l'adhésion spontanée de l'homme au monde qui l'entoure ; ils expriment « l'intuition de l'unité de l'homme et du monde vécue dans toutes les fibres de l'être ».

Formulaire de comportements et code pour les actions humaines, le mythe est d'abord un langage, une création de l'homme pour son usage, avec lequel il explique le monde dans lequel il vit, justifie les institutions qui règlent les rapports avec ses semblables et transmet un savoir technique, social, moral et spirituel. L'univers mythique se superpose ainsi au monde quotidien de l'homme, auquel il donne un sens parce qu'il est tissé d'images chargées d'une signification immédiate ; médiateur entre l'homme et le monde, le mythe explique celui-ci et lui donne un sens. En effet, en dépit de l'intervention fréquente d'êtres fabuleux placés dans des situations extraordinaires ou du moins insolites, le mythe se nourrit de réalités qui appartiennent à l'univers passionnel ou quotidien de l'homme : vols et viols, incestes et adultères, passions amoureuses et haines, fraudes, vengeances, homicides, ou activités de la vie quotidienne (chasse, travail des champs) font la trame de ces récits, qui apparaissent ainsi comme l'expression profonde de la vérité. Mais, en même temps, le mythe transpose toujours le réel à un plan supérieur à celui de l'homme, au plan du monde et des origines. C'est par cette transposition « en ce temps-là », ou plutôt dans une transcendance qui échappe au temps et à la réalité des hommes, qu'il justifie les réalités quotidiennes en les sublimant.

Le mythe dramatise le sentiment humain d'une nature emplie d'énergies ; il donne une représentation organisée du monde et justifie un ordre social : c'est donc une sorte de sur-nature qu'il surimpose, comme modèle, à la vie quotidienne. En réactualisant des réalités supérieures, il sublime dans un éternel maintenant et toujours toute action humaine. C'est pourquoi le mythe est religieusement actif et est en étroite liaison avec les rites : « Nous devons faire ce que les dieux firent au commencement ; ainsi ont fait les dieux, ainsi font les hommes » affirme un texte sacré de l'Inde. Les mythes fournissent aux hommes une signification pour les êtres et les choses parmi lesquels ils vivent et ils leur permettent d'appliquer cette signification à leur propre être, à leur existence personnelle. Langage d'homme, le mythe exprime une expérience vécue dans le plus profond de l'être humain : c'est pour cela qu'il lui révèle le sens plénier du monde.

Les symboles religieux

Un symbole est un signe visible qui se révèle porteur de forces psychologiques, sociales et/ou religieuses. À l'origine, le mot grec désigne une tablette brisée que les parties contractantes d'un pacte conservent. Le rapprochement des deux parties brisées leur permet de se reconnaître et témoigne que l'union est valable malgré la séparation : ainsi, dans la Bible, le jeune Tobie remet la moitié de l'acte signé par son père à l'homme qui en possède l'autre partie, dans le pays des Mèdes (Tobie 5, 2-3).

Il est donc évident que, de la même façon que pour les mythes et les rites, c'est l'homme qui crée ses propres symboles, à partir d'une tradition qui confère à des signes matériels (un arbre, de l'eau vive, une palme, deux bois entrecroisés, un carré inscrit dans un cercle, le soleil, la lune, etc.) une signification propre. Le signe acquiert donc un autre sens que ce qu'il représente normalement : le symbole donne à penser. Chaque système religieux élabore au fil du temps ses propres symboles, par lesquels ses fidèles se reconnaissent et qui les relient à une totalité dans laquelle ils voient un signe du divin. Pour cette raison, les symboles religieux sont exclusifs les uns des autres : pas de crucifix dans une synagogue, bien sûr ; pas de Bouddha dans une mosquée. Ce sont ces symboles qui permettent à l'homme de passer des simples créations de l'imaginaire à une réalité supérieure : le divin.

BEAUX-ARTS

Qu'elle dérive étymologiquement de l'adjectif latin sacer (« ce qui ne peut être touché sans être souillé, ou sans souiller »), ou du verbe sancire (« délimiter, prescrire »), la notion de sacré s'enfonce dans les profondeurs du passé humain, où prennent naissance la magie, les mythes et les religions. Le sacré ne s'oppose pas au profane : c'est son autre face. Il forme avec lui un de ces couples qui se retrouvent, comme des constantes universelles, à la base des cultures les plus diverses et les plus éloignées. Lorsque l'adjectif « sacré » qualifie le mot « art », on pourrait s'attendre que la définition du sacré s'en trouve simplifiée. Il n'en est rien : tel critique proclame la disparition définitive de l'art sacré au xviiie s. Tel autre annonce sa renaissance dans l'art abstrait. Un troisième peut enfin s'extasier, par exemple, sur le mysticisme de la Mort de la Vierge (1605, Louvre) du Caravage. Cette œuvre fut pourtant enlevée à grands cris de l'église romaine à laquelle elle était destinée, par des religieux qui reprochaient au peintre d'avoir pris modèle, pour représenter la Vierge, sur le corps d'une noyée retirée du Tibre, le ventre encore ballonné d'eau.

Mais dans son acception courante l'art sacré d'Occident s'identifie à l'art religieux.

Les origines

Les sociétés dites « primitives » ne semblent pas distinguer le sacré du profane. Tout acte y est lié à un rite traditionnel et immuable qui sacralise la moindre pratique. Le sacré se présente comme une transcendance qui investit l'objet du culte, mais qui n'est jamais l'objet même. Lorsque, plus tard, le monde grec se présentera comme le premier maillon de la civilisation occidentale, il est déjà sorti de cet univers primitif, en assignant une place aux dieux et une autre aux hommes. Désormais, la divinité prend les traits de l'homme et ne garde de sa mystérieuse altérité que la trace d'un sourire indéfinissable, celui qu'on voit, par exemple, dans la figure de l'Apollon de Thasos (vie s. avant J.-C., glyptothèque Carlsberg, Copenhague). Dans l'art grec, le sacré semble se dépouiller de son mystère et l'homme ne voit que son propre reflet dans le Zeus d'Histiaia (vers 470 avant J.-C., Musée national, Athènes) ou dans la Vénus de Milo (iie s. avant J.-C., Louvre). Mais ces corps parfaits n'appartiennent en fait à aucun homme, à aucune femme, ce ne sont que des images et leur essence, réelle et abstraite à la fois.

Plus pragmatiques, les Romains, dont la religiosité ne semble jamais dépasser la superstition ou l'opportunisme et ne suscite nulle métaphysique, mettront des siècles avant de s'inventer des dieux, pour se donner enfin des dieux politiques et de raison, leurs empereurs. L'art sacré romain repose moins sur l'expression divinement paternelle de l'Augustus Pontifex (30 après J.-C., Rome, musée du Vatican) que sur un sens nouveau du lieu du culte, pratiqué dans un espace majestueux, solennel et écrasant. Le Panthéon (iie s.) et les basiliques du Bas-Empire fourniront un modèle adéquat à la religion chrétienne lorsqu'elle s'imposera comme religion officielle.

Le premier art chrétien

Entre le ier et le iiie s., alors que les adeptes du christianisme se terrent dans les catacombes, l'art chrétien démontre déjà que le sacré ne suscite aucun art qui ne soit pas inséré dans le tissu sociohistorique de son temps. Il est lié au profane et en emprunte les signes : ainsi les chrétiens adoptent scrupuleusement les goûts romains de l'époque. Les mêmes fresques stylisées et académiques qui décorent les maisons patriciennes se répètent sur la voûte de la crypte de Lucine (catacombes de Sainte-Calixte), tandis qu'un peu plus loin sur les murs l'Aristée, dieu des Jardins, avec sa brebis sur l'épaule, devient le Bon Pasteur, et Orphée, charmant les animaux, préfigure probablement le Christ. Cette insertion dans l'iconographie païenne, les historiens chrétiens eux-mêmes en conviennent, reconnaissent son étendue et admettent, par exemple, que le Saint Pierre de la crypte vaticane (ive s.) et le Saint Hippolyte du Latran (ive s.) sont des statues de philosophes romains auxquels on a donné une autre tête et un autre nom.

En 313, les chrétiens sortent au grand jour et construisent leurs premières églises, mais il faudra attendre la scission entre Rome et Byzance, en 395, pour que des manifestations d'une iconographie chrétienne, tout imprégnée d'hellénisme oriental, se précisent. À Ravenne (Saint-Vital, Saint-Apollinaire, vie s.), l'empereur Justinien fait bâtir des basiliques où se déploient des mosaïques dorées qui exaltent la gloire de l'empereur et de l'impératrice Théodora ainsi que les fastes de leur cour dans un mouvement répétitif de figures qui convergent vers la colossale et redoutable figure du Christ Pantocrator (tout-puissant). Tout en consacrant un lien indissoluble entre le spirituel et le temporel qui hantera longtemps l'histoire de l'Église, le sacré est ici présent dans son envoûtement oriental, dans l'étrange appel d'un au-delà resplendissant.

La querelle des iconoclastes, entre le viie et le viiie s., marque un léger temps d'arrêt dans la prolifération des images. C'est un conflit culturel dont les traces sont profondes, et qui pose fondamentalement la question de la « représentation ». Sous les règnes des empereurs Léon l'Isaurien et Théophile, les églises sont décorées de feuillages et de vols d'oiseaux, mais le concile de Nicée, en 787, restaure le culte des images, qui ne sera remis en question, beaucoup plus tard, que par le protestantisme.

Le miracle de la vie

Si l'on découvre progressivement les richesses de la fin de l'Empire et du haut Moyen Âge, cette période est considérée comme « obscure », avant la renaissance du xie s. Les Barbares qui ont détruit l'ordre romain apparaissent comme des forces aveugles qui se bousculent ; éternels nomades, ils façonnent des bijoux, introduisent en Europe la technique de l'émail cloisonné, créent sans doute des idoles d'une grande beauté comme celle de Sainte Foy de Conques (xe s.), mais ne bâtissent pas. Puis, assez soudainement, ils se fixent, se stabilisent, l'événement clé de ce retournement étant la constitution, au début du xie s., de la monarchie apostolique de Hongrie qui clôt les Marches orientales aux Barbares des steppes. La foi chrétienne sera un facteur d'unité et d'équilibre. L'architecture romane, qui surgit de ce nouvel ordre, est puissante, sobre, mesurée ; pourtant, sur les voûtes de ses églises, un étrange foisonnement d'images apparaît. Les frises sculptées, les chapiteaux, les fresques présentent un univers d'animaux féroces, de monstres, de diables grimaçants, dont la représentation a visiblement pour but d'inspirer la crainte. Le tympan de Sainte-Foy de Conques pullule de créatures redoutables, rassemblées autour d'un Christ impassible dont la main levée (qui ne bénit ni ne protège) met les hommes en garde. Le Christ en majesté du narthex de Vézelay, celui de Moissac (xiie s.) sont des monarques absolus et terribles toujours entourés de jugements derniers et d'apocalypses, mais rien, dans cette imagerie, n'est gratuit ni fortuit. En 1025, le synode d'Arras avait affirmé que la peinture doit permettre aux illettrés de connaître ce qu'ils ne peuvent apprendre par les livres. La fonction de l'art est d'enseigner l'ordre aux travers des terreurs de l'enfer et du respect de l'autorité divine.

Au bout d'un siècle, les fondations de l'Occident chrétien sont solides et, au débordement d'images menaçantes, peuvent succéder des formes apaisantes. Le gothique « fleurit » ses églises, découvre le chant coloré des vitraux, adoucit le Christ d'Amiens (le Beau Dieu), fait sourire les Vierges de Chartres, de Reims, de Notre-Dame de Paris. L'iconographie du xiiie s. renonce définitivement à l'Orient et aux monstres : elle est évangélique, occidentale, bienveillante.

L'esprit du gothique se prolongera jusqu'au début du xvie s. à travers les œuvres d'artistes de tempérament différent, mais où l'on retrouve la même puissance inquiétante et dramatique : sculptures de Claus Sluter, peintures de Van der Weyden, de Van Eyck, ou l'extraordinaire retable d'Issenheim (1519, musée Unterlinden, Colmar) de Mathias Grünewald. Puis, pendant que la guerre de Cent Ans saccage l'Europe du Nord, en Ombrie, saint François d'Assise redécouvre le mysticisme humain du Christ ; c'est dans son sillage que se meut la peinture de Giotto, celle des primitifs siennois, de Masolino et Masaccio, de Fra Angelico et de Piero della Francesca.

Entre le xive et le xve s., en Italie, une nouvelle interrogation est posée qui reporte l'attention sur la vie humble de l'homme et sur la communion qui le lie à la nature, au paysage. Les madones italiennes sont des femmes : mères, fiancées ou épouses. Les saints empruntent leurs traits aux paysans et leurs mains épaisses semblent durcies aux travaux des champs. Le voile du symbolisme se déchire, le sacré est le miracle quotidien de la vie.

La « grande misère » de l'art sacré

Les artistes flamands et italiens opèrent la première importante déchirure dans l'iconographie religieuse en ouvrant à la conscience de l'homme, à ses luttes, à ses passions, le champ du sacré. À partir de la Renaissance, le « divorce » s'inscrit dans les faits, même si des œuvres admirables sont encore peintes et sculptées avec l'approbation des papes, sous leur mécénat parfois éclairé, souvent arbitraire. Les thèmes religieux ne sont plus que l'un des éléments constitutifs de l'art, puis, de plus en plus, un prétexte, comme le démontrent ces paysages fantastiques de Patinir (1480-1524), où l'on découvre une minuscule figure de saint perdue parmi d'immenses rochers, ou ces gigantesques toiles dans lesquelles Carpaccio, en exécutant une commande sur le thème de la Légende de sainte Ursule (1495, galerie de l'Académie, Venise), illustre avec un extraordinaire bonheur pictural les fastes de Venise.

Du xvie au xviie s., il est clair, en tout cas, que se consomme la fin d'un mouvement cohérent et collectif dans l'art sacré. Le sacré, en matière d'art, sera désormais affaire de destinées solitaires, de génies individuels et discutés car soumis aux « lectures », souvent contradictoires, du sens du sacré.

La vision harmonieuse d'un Raphaël et celle tourmentée d'un Michel-Ange renvoient-elles précisément au même Dieu ? Les humbles personnages que sont les saints du Caravage et de Georges de La Tour peuvent-ils cohabiter avec les saints de Tiepolo ou de Rubens ? Le mysticisme maniéré et théâtral du Greco ne s'oppose-t-il pas à la profonde lumière intérieure des dernières œuvres de Rembrandt ? Ces questions, l'Église les a ignorées et n'a pas nourri une doctrine théologique qui s'était, durant des siècles, appuyée sur la fonction symbolique de l'image. Ne restent après cela que les contorsions équivoques du baroque (Sainte Thérèse, du Bernin, 1646, Sainte-Marie-de-la-Victoire, Rome), puis, au xviiie s., ce sera le vide, « la grande misère de l'art sacré ». Ce sera, enfin, au xixe s., la grisaille épuisée d'un Puvis de Chavannes, l'art décadent d'Hippolyte Flandrin (décor de Saint-Germain-des-Prés, 1842-1861), de Bouguereau (Vierge consolatrice, 1877, Louvre) et d'une foule d'artistes médiocres.

Le xxe siècle

En France, l'art sacré connaît un certain renouveau au début du xxe s. En 1919, à Paris, Maurice Denis fonde avec G. Desvallières les Ateliers d'art sacré. Les architectes concevront tout au long du siècle quelques sanctuaires dignes d'intérêt, de Perret (église du Raincy, 1922) à Le Corbusier (Notre-Dame-du-Haut, Ronchamp, 1950-1955) ou, plus récemment, Mario Botta (cathédrale d'Évry, 1995). Sur le plateau d'Assy, l'église (1937-1950) conçue par Novarina recevra des œuvres de différents artistes : Léger, Lurçat, Rouault, Bazaine, Chagall, etc.

À la fin du xxe s., une audacieuse politique de commandes à des artistes contemporains s'est mise en place, des vitraux de la cathédrale de Nevers (Claude Viallat, Gottfried Honneger, Jean-Michel Alberola et François Rouan) ou de l'abbatiale Sainte-Foy de Conques (Pierre Soulages) à la « gloire » minimaliste du chœur de Notre-Dame de Paris (Marc Couturier).