Iran : art et archéologie de l'Iran ancien
Introduction
Les textes n'apparaissent en Iran qu'à partir de l'époque achéménide (milieu du vie s. avant J.-C.), si l'on excepte l'utilisation éphémère de l'écriture protoélamite attestée à Suse C et à Sialk (ou Siyalk) IV vers 3000 avant J.-C. La connaissance de l'évolution antique du pays repose, par conséquent, sur la recherche archéologique, seul moyen d'investigation. Si les voyageurs et les érudits s'intéressèrent aux ruines de Persépolis dès la fin du xviiie s., si la grande inscription trilingue de Béhistoun fut étudiée à partir de 1835 par H. C. Rawlinson, la fouille proprement dite ne fut guère pratiquée avant le début des recherches françaises à Suse en 1884 (Marcel Dieulafoy, puis Jacques de Morgan). À partir des années 1930, les méthodes employées furent plus satisfaisantes, et de grandes missions commencèrent à explorer des sites dispersés dans diverses régions du pays, plateau central, chaîne du Zagros, plaine de Suse. Mais les résultats qu'offre la recherche archéologique- si intéressants soient-ils - ne forment pas une trame continue : chaque exploration résout moins de problèmes qu'elle n'en pose, et l'archéologie iranienne en est au stade de la monographie plus que de la synthèse.
Les origines
Des recherches américaines récentes permettent d'offrir un tableau des premiers pas de la domestication animale et végétale sur le territoire iranien. Il est maintenant certain que les premiers villages existèrent, dans la chaîne du Zagros, dès la fin du VIIIe millénaire avant J.-C. Dans la plaine du Khuzestan, les plus anciens habitants expérimentaient des techniques de culture et d'emmagasinement pour subvenir à leur alimentation : l'élevage de la chèvre et, dans une plus faible mesure, du mouton, la culture de l'orge et du blé amidonnier y sont attestés. L'outillage est entièrement lithique, la céramique est encore inconnue. La poterie apparaît pour la première fois dans le Kurdistan iranien (Tepe Guran) dans la seconde moitié du VIIe millénaire avant J.-C., et un peu plus tard (vers 6000 avant J.-C.) dans le Khuzestan. Dans cette dernière région, les maisons de la période sont construites sur fondations, chèvre et mouton sont tout à fait domestiqués. Des figurines d'argile, peu cuites, étaient modelées depuis fort longtemps. Sans doute faut-il placer aux environs de 6000 avant J.-C. la « Vénus » et le sanglier de Tepe Sarab, près de Kermanchah. À la fin du VIe millénaire avant J.-C., les habitants de la plaine du Khuzestan commencent à utiliser les techniques d'irrigation et domestiquent les premiers bovidés.
Sur le plateau central, l'occupation humaine fut sans doute beaucoup plus tardive. On la repère seulement à partir de la fin du VIe millénaire avant J.-C., à Sialk I, près de Kachan. Pendant plus de deux mille ans, entre 5500 et 3000 avant J.-C., les villageois du plateau iranien façonnèrent de magnifiques céramiques peintes, qui sont parmi les chefs-d'œuvre de l'art antique de l'Iran (Sialk, Tepe Hissar, Tall-e Bakun). Ces poteries sont décorées de motifs géométriques, puis de silhouettes d'animaux stylisés : le répertoire animalier du IVe millénaire avant J.-C., léopards, oiseaux aquatiques, bouquetins, sloughis, est d'une diversité étonnante. L'être humain est rarement figuré. Dès la fin du Ve millénaire avant J.-C., le site de Tall-e Iblis, dans le sud-est du plateau central, près de Kerman, apporte les précisions les plus intéressantes sur les débuts de la métallurgie, peut-être pratiquée de façon domestique, mais probablement exportée. À la fin du IVe millénaire avant J.-C., les cultures villageoises du plateau pratiquent couramment les techniques métallurgiques (Sialk III, 4). Les cultures iraniennes à céramiques peintes atteignirent leur apogée artistique dans le Khuzestan, où les fouilles françaises du début du xxe s. exhumèrent, à Suse, les séries qui ornent les salles du Louvre (3800-3500 avant J.-C.).
Les IIIe et IIe millénaires avant J.-C.
La région de l'Élam (Suse) s'urbanise parallèlement à la Mésopotamie. Vers 3000 avant J.-C. apparaissent l'écriture pictographique des tablettes protoélamites et la sculpture en ronde-bosse ; seul, le sceau-cylindre, qui s'imprime sur des tablettes ou des bulles d'argile, permet de marquer les principales étapes de l'évolution. Les liens entre l'Iran et la Mésopotamie deviennent extrêmement nets. L'exemple le plus frappant est fourni par certains vases en stéatite décorés de reliefs peu accentués dont les détails sont rendus le plus souvent par des incisions, retrouvés en Mésopotamie en abondance dans la région de la Diyala, à Mari, à Tello, mais également à Suse ; ils sont datés d'environ 2700-2400 avant J.-C. Des exemplaires viennent d'être retrouvés sur le plateau central iranien, à Tepe Yahya, au sud de Kerman. Cette ville devait vivre en partie du commerce de la stéatite, fort prisée en Mésopotamie. À l'autre extrémité du territoire iranien, sur les bords sud-est de la mer Caspienne (Chah Tepe, Turang Tepe), la céramique peinte chalcolithique est peu à peu remplacée par une céramique monochrome grise à surface soigneusement lissée, qui supplante également les céramiques peintes antérieures à Tepe Hissar, au sud de la chaîne de l'Elbourz. Dès les premiers siècles du iiie millénaire avant J.-C., la céramique grise lissée règne seule sur toute la région au sud-est de la mer Caspienne. On peut en suivre, jusqu'au début du deuxième millénaire avant J.-C., l'évolution continue. Au milieu du IIIe millénaire avant J.-C., cette civilisation permettait l'acheminement du lapis-lazuli, extrait d'Afghanistan, vers les cours sumériennes, grandes consommatrices. Dans la seconde moitié du IIIe millénaire avant J.-C., la pression de la Mésopotamie sur l'Iran occidental se fait plus forte : les rois montagnards du Zagros font alors sculpter sur les parois des montagnes des reliefs de victoire directement inspirés de l'art akkadien (bas-relief d'Anubanini). Vers 2200 avant J.-C., l'écriture protoélamite est définitivement remplacée par l'écriture cunéiforme. À Suse, les sceaux-cylindres de l'époque sont difficilement distingués des sceaux mésopotamiens. Au IIe millénaire avant J.-C., l'art élamite « moyen » (1500 à 1000 avant J.-C.) est célèbre grâce au site extraordinaire de Tchoga Zanbil, à une cinquantaine de kilomètres au sud-est de Suse.
Les débuts du Ier millénaire avant J.-C.
À la fin du IIe et au début du Ier millénaire avant J.-C., l'attention se porte de nouveau sur le nord de l'Iran. De nombreux sites du Nord-Ouest, Khorvine, Sialk, Giyan, fournissent une abondante céramique grise qui n'est pas sans présenter certaines analogies avec les cultures de la plaine de Gorgan du début du IIe millénaire avant J.-C. Les sites de Marlik et Hasanlu fournissent une fine vaisselle en or et en argent. Cette région devint l'enjeu d'une lutte d'influence entre les Assyriens, les Scythes, les Mèdes, les Mannéens : le trésor de Ziwiyé, qui date pour l'essentiel de la fin du viiie et du début du viie s. avant J.-C., en est un bon témoin, par l'hétérogénéité même des objets qui composent cette collection (Musée archéologique, Téhéran). Dans cette région, au moment où la puissance assyrienne s'assure peu à peu la maîtrise de tout l'Orient non iranien, les peuples mèdes sont attestés dans l'histoire, pour la première fois, à l'époque de Salmanasar III (859-824 avant J.-C.). Devant la menace assyrienne, ils se constituèrent en fédération de tribus, autour d'Ecbatane, et s'emparèrent de Ninive en 612 avant J.-C. Cette victoire fut bientôt annulée par le triomphe du Perse Cyrus, qui réunit sous son autorité les deux peuples.
L'époque achéménide
L'Empire achéménide, le plus vaste que l'Orient ait connu, vit éclore un art nouveau. Ayant vécu pendant plus de deux siècles sur une conception politique despotique, il donna naturellement naissance à un art fondé sur l'exaltation de la personne royale. Il chercha aussi à unir à un fond proprement iranien les éléments hétérogènes fournis par les civilisations non iraniennes des peuples soumis. La première capitale, Pasargades, est iranienne pour l'essentiel : monuments dispersés sur une grande superficie, isolés au milieu de jardins irrigués, tous conçus selon le principe de la salle hypostyle, dont l'origine doit être recherchée dans le nord de l'Iran, par exemple à Hasanlu IV (vers 1000-800 avant J.-C.), où existe une salle hypostyle à deux rangées de colonnes. En revanche, l'art ionien fait déjà sentir son influence dans la façon dont sont taillées les bases de colonnes, cannelées, et dans le traitement des reliefs, où les premières ébauches du drapé achéménide des vêtements sont probablement inspirées de modèles grecs. Cependant, le tombeau de Cyrus lui-même, en forme de maison couverte d'un toit à double pente, demeure à l'abri de ces contaminations étrangères.
Ce syncrétisme achéménide est encore plus net dans les constructions de Persépolis. Les bâtiments grandioses de Persépolis, juchés sur une gigantesque terrasse artificielle, et dont on ignore au fond le rôle exact, sont tous bâtis suivant le principe de la salle hypostyle, ici démesurément agrandie, puisque certaines salles comptent cent colonnes. Ces dernières sont l'élément le plus original de l'architecture perse, avec leur base campaniforme et leur chapiteau composite soutenant une imposte à double avant-train d'animal. Tous ces bâtiments sont couverts de reliefs décoratifs qui soulignent de façon heureuse les lignes de force de l'architecture. Le thème unique est celui du roi, qui trône, s'avance, donne audience, reçoit le tribut, triomphe des fauves. Les palais de Suse étaient décorés surtout de panneaux de briques émaillées, dont les plus connus représentent le défilé des archers du roi des rois. L'art achéménide sut exceller également dans les arts « mineurs », et le bouquetin ailé du musée du Louvre, vraisemblablement une anse de vase, exprime à merveille la légèreté de l'animal des montagnes.
L'Iran hellénisé et l'époque sassanide
Après la mort d'Alexandre le Grand, les provinces iraniennes furent perdues définitivement par ses successeurs au milieu du iie s. avant J.-C. Des dynasties iraniennes s'emparèrent du pouvoir, mais la marque de l'hellénisme resta prédominante. Les Parthes Arsacides laissèrent surtout de nombreux reliefs rupestres (Béhistoun, Tang-e Sarvak). On leur attribue également, aux environs de l'ère chrétienne, la statue de Chami, en bronze, représentant un homme debout, revêtu d'un costume purement iranien ; la tête fut peut-être exécutée à Suse, et le corps sur place. L'Iran n'est alors qu'une partie d'un vaste milieu artistique qui s'étend du Gange à l'Euphrate. L'art parthe est soumis à des conventions sévères dont la plus connue est le respect de la loi de frontalité, sans doute par souci de rendre la présence du regard et, par celui-ci, la permanence de la vie.
Dès le deuxième quart du iiie s. après J.-C., cet art parthe est remplacé par un art très différent : l'accession des Sassanides au pouvoir marque un changement profond. L'architecture voit apparaître une grande nouveauté : la salle carrée couverte d'une coupole sur trompes. Dans le domaine des arts décoratifs, la frontalité parthe cesse de régner, l'hellénisme est beaucoup moins présent. Avec les souverains sassanides se produit une sorte de renaissance nationale iranienne, qui érige le zoroastrisme en religion d'État et s'inspire de l'art achéménide, jugé plus « iranien » : des gorges égyptiennes surmontent les portes du palais de Firuzabad, comme au palais de Darios. Les reliefs rupestres ne représentent plus que des scènes d'investiture divine, des triomphes et des combats. L'art sassanide a également livré de magnifiques plats, coupes et carafes (Leningrad, musée de l'Ermitage). En métal précieux, ces objets sont décorés de scènes de chasse, de figures nues, de l'image du roi assis de face, les jambes fléchies, dans la posture dite « en majesté », promise à un long avenir : le roi trônant de la coupe dite « tasse de Salomon » (vie s. après J.-C., B.N.F., Paris) est le prototype direct des « Christs en majesté » des tympans romans.