Journal de l'année Édition 2004 2004Éd. 2004

Un printemps social agité sur fond de réforme des retraites

Mise en chantier dès la rentrée 2002 et lancée par Jacques Chirac le 6 janvier, la réforme du système des retraites donne lieu à un long bras de fer entre le gouvernement et les syndicats, qui en ressortent divisés.

Malgré six semaines d'un mouvement social sans précédent depuis 1995, le projet de loi est approuvé en Conseil des ministres le 28 mai et soumis le 10 juin à l'Assemblée, où l'opposition prend le relais des syndicats pour batailler contre un texte que le gouvernement veut faire entériner avant les vacances parlementaires.

L'esprit de mai

La France a commémoré le 21 avril le premier anniversaire du traumatisme électoral qu'avait constitué au premier tour des présidentielles le score de Jean-Marie Le Pen qui, en éliminant Lionel Jospin, avait été promu rival du président sortant Jacques Chirac, grand vainqueur d'un second tour aux allures de plébiscite le 5 mai. Mais, un an après, l'« esprit de mai » qui avait, dit-on, présidé à cette victoire d'un front républicain incarné par M. Chirac a fait long feu, emporté par les tensions sociales provoquées par une réforme du système des retraites que les syndicats et une partie de l'opinion percevront comme un fait accompli. Encouragé par l'aphasie d'une gauche encore sonnée par la double épreuve des présidentielles et des législatives, ce consensus mou avait survécu à une rentrée politique et sociale éclipsée par une actualité internationale brûlante dominée par les perspectives de guerre en Irak. La politique étrangère audacieuse de la France, qui a su tenir tête aux États-Unis dans un long et inégal bras de fer diplomatique, vaudra à M. Chirac un taux de popularité sans précédent dans une opinion publique réunie, par-delà les clivages politiques, dans un refus unanime de la guerre. Mais la vie politique nationale retrouvera ses droits avant même que la prise de Bagdad par les Américains le 10 avril n'annonce une accalmie dans le dossier irakien, faisant voler en éclats ce consensus.

Essoufflement

Le mouvement de protestation contre les réformes engagées sur le terrain social par le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin prendra d'autant plus d'ampleur que la colère syndicale avait été contenue et maintenue sous pression, pour exploser en un printemps social réveillant à droite le souvenir obsédant du mouvement de 1995 qui avait fait reculer Alain Juppé, alors Premier ministre. Mais, cette fois, pour le chef du gouvernement et au-delà pour le chef de l'État, il n'est pas question de transiger sur la réforme annoncée des retraites, inscrite dès janvier 2002 dans le programme électoral de l'Union en mouvement (UEM, future UMP) sous l'égide de François Fillon devenu ministre des Affaires sociales et auteur du projet de loi afférent qui s'imposera à la rentrée 2002 comme le chantier majeur de Matignon. Il y va de la crédibilité du gouvernement et de J. Chirac lui-même, qui a lancé le 6 janvier une réforme qualifiée de « juste » et de « nécessaire », voire vitale pour la France, à la traîne de la plupart de ses partenaires européens sur le dossier des retraites. Au même moment, 7 syndicats emmenés par le tandem CGT-CFDT présentent un front uni pour annoncer une journée d'action le 1er février, sans toutefois contester la nécessité d'engager une réforme des retraites pour laquelle ils entendent réaffirmer le respect du principe de répartition, contre une tendance générale à la capitalisation. Commence une longue épreuve de force entre le gouvernement de M. Raffarin, qui dessinait les contours du projet de loi en lançant le débat sur les retraites le 3 février, et des syndicats décidés à sauvegarder les acquis du système, tout en négociant les termes d'une indispensable réforme.

Mais la détermination affichée par le gouvernement, bien décidé à procéder à un alignement du public sur le privé, assorti d'un allongement du temps de cotisation et, à terme, d'une augmentation du montant des cotisations, laisse peu de place à la négociation, que M. Fillon n'engage que le 14 mai, au lendemain d'une journée de mobilisation sans précédent qui a rassemblé près de 2 millions de personnes à travers la France. Depuis les manifestations du 3 avril et du 1er mai, le mouvement, auquel se sont ralliés les enseignants mobilisés contre le projet de loi de décentralisation, radicalisant les grèves de la fonction publique qui paralysent le pays, a pris une ampleur nationale. Pourtant M. Raffarin refuse de céder aux pressions de la rue, qui « ne gouverne pas », précisera-t-il, misant sur l'essoufflement du mouvement, d'autant que les négociations tardives et infructueuses avec les syndicats ont ouvert une brèche dans leur front unitaire, avec « le compromis acceptable » scellé entre M. Fillon et le dirigeant de la CFDT, François Chérèque. Le calcul se révélera exact : après la grande manifestation du 25 mai, le mouvement, mené par la CGT et FO, marque un repli visible lors de la journée de grèves et de manifestations du 3 juin, qui en sera le chant du cygne. La lassitude l'a emporté chez les grévistes, moins nombreux, sauf dans l'éducation, les transports et La Poste, à suivre un mouvement boudé par le privé. Quant aux enseignants, M. Sarkozy parvient à calmer leur colère en renvoyant à l'automne le projet de décentralisation, qui devrait se solder par le transfert aux collectivités locales de personnels non enseignants de l'Éducation nationale. La réforme des retraites est donc lancée le 10 juin sur les rails d'un débat parlementaire qui voit les législateurs de l'opposition prendre le relais des syndicats et ferrailler à coups d'amendements, dans une vaine bataille procédurière dont le seul effet sera de retarder l'inéluctable adoption d'un texte renvoyé en session extraordinaire en juillet. Le dossier doit être bouclé avant les vacances parlementaires, en prévision d'une rentrée sociale qui promet d'être agitée. Car, s'il a gagné la partie, le gouvernement s'avance sur un terrain social miné, avec d'autres projets de loi en réserve, de la décentralisation de l'État à la réforme de l'université en passant par celle de l'assurance-maladie.