Journal de l'année Édition 2004 2004Éd. 2004

Lagardère, de père en fils

Quelques semaines après la disparition de Giovanni Agnelli, le flamboyant patron de Fiat, meurt à son tour Jean-Luc Lagardère, P-DG de la holding homonyme qui contrôle, avec les Allemands, le premier groupe aéronautique européen, EADS, et le premier groupe européen d'édition, Hachette-Vivendi.

Tout commence en 1928 dans le Gers. Jean-Luc naît dans une famille gasconne, dont le père, ingénieur, officiera plus tard au sein de l'Office national d'études et recherches aérospatiales. Le jeune homme héritera donc de la passion paternelle pour les avions et suivra sans peine des études techniques à l'école Supélec, dont il sort diplômé au tournant des années 1950. Il entre alors chez Dassault. Jean-Luc, sportif au physique avantageux, est un homme pressé. Il a rencontré Sylvain Floirat et Marcel Chassagny, dirigeants de la société Matra, fournisseur de Dassault en matériel électronique. Il les rejoint en 1963 et, avec eux, il va faire de Matra sa rampe de lancement. Dans les années qui suivent, la société va s'imposer dans le domaine du matériel militaire et participer au lancement du premier satellite français, Astérix, comme à celui de la première fusée française, Diamant, en 1965. De quoi confirmer chez le fougueux ingénieur la fibre nationale et la volonté de devenir un grand opérateur industriel.

L'homme pressé

Cela passe par une recherche de la notoriété : Lagardère, qui est devenu directeur général de l'entreprise, lance alors celle-ci dans l'automobile, convaincu que c'est là le meilleur moyen d'obtenir une visibilité maximale. Dès 1969, Matra obtient un titre mondial en F1 avec Jackie Stewart au volant, puis trois titres aux 24 Heures du Mans de 1972 à 1974. Jean-Luc Lagardère est devenu un familier des allées du pouvoir. De nombreuses photos le montrent en compagnie du général de Gaulle, de Georges Pompidou et de Valéry Giscard d'Estaing. Il sait utiliser ces augustes relations.

Lagardère a mis un premier pied dans les médias dès 1974 en prenant le contrôle d'Europe 1 que possédait déjà son mentor, Sylvain Floirat. Il y fera s'épanouir toute une nouvelle génération de journalistes – Étienne Mougeotte, Gérard Carreyrou, Anne Sinclair, Ivan Levaï, notamment –, mais, surtout, il donnera à l'information de la station un ton plus consensuel, moins impertinent vis-à-vis du pouvoir. Le pouvoir s'en souvient en 1980 en favorisant la reprise du géant de l'édition Hachette par l'homme de Matra. Une reprise qui sera renforcée par l'absorption du groupe de magazines dirigé par Daniel Filipacchi, qui possède déjà des titres prestigieux comme Elle et Paris-Match. Très vite, Hachette va devenir le n°1 mondial de la presse magazines.

Le Gascon possède désormais une solide présence dans les trois secteurs clés de l'automobile, de la technologie et de la communication. Il a 53 ans, mais l'aventure est loin d'être achevée. La gauche est arrivée au pouvoir. Parmi ses promesses de campagne figure la nationalisation de Matra. Les relations de Lagardère se situent plutôt à droite de l'échiquier politique. Mais Pierre Mauroy, le Premier ministre et maire de Lille, tient à la réussite du métro de sa ville, construit par Matra. Lagardère obtiendra ainsi que son entreprise ne soit nationalisée qu'à 51 %, ce qui lui permettra, six ans plus tard, après l'alternance politique, de réaliser un joli coup de force : celui de devenir, à l'occasion de la reprivatisation de sa firme, l'actionnaire de référence, alors qu'il ne possède en propre que moins de 6 % du capital.

Les années 1980 et 1990 sont aussi celles de la communication triomphante. Lagardère entend y participer et veut sa chaîne de télévision. Il va pourtant manquer la privatisation de TF1 à laquelle il avait présenté sa candidature. Il croit enfin trouver l'occasion avec la reprise de la Cinq, abandonnée par son premier opérateur, le magnat de la presse écrite, Robert Hersant. Le désastre est au rendez-vous. La Cinq finit piteusement en 1992. Lagardère s'est trompé du tout au tout, voulant contrer frontalement TF1, alors qu'il aurait fallu définir un positionnement différent pour cette chaîne.

Une fin de vie somptueuse

Le Gascon sait rebondir et il profite de cet échec pour réorganiser son groupe. L'entreprise Matra-Hachette s'exprime désormais au travers d'une commandite par actions à deux têtes : Jean-Luc Lagardère, à titre personnel, et une société qu'il contrôle avec son fils Arnaud et ses principaux collaborateurs, ceux qu'on a appelés souvent les « Matra Boys » ou les « Lagardère Boys ».