Journal de l'année Édition 2002 2002Éd. 2002

L'Amérique frappée par le bioterrorisme

Sans précédent, les attaques à l'anthrax qui ont frappé les États-Unis n'ont tué que cinq personnes. Elles ont néanmoins écorné l'image des autorités américaines et cruellement révélé l'absence de contrôle des laboratoires détenteurs d'agents biologiques.

Six ans après l'attentat chimique au gaz sarin perpétré dans le métro de Tokyo par la secte religieuse Aum Shinri-Kyo, les États-Unis ont été victimes du premier acte bioterroriste meurtrier de l'histoire. Entre le 5 octobre et le 21 novembre, des courriers contenant des spores de la bactérie responsable de la fièvre charbonneuse (« anthrax » en anglais) ont provoqué la mort de cinq personnes et la contamination de quatorze autres (exposées sans avoir développé la maladie ou ayant contracté sa forme cutanée).

10 000 Américains sous ciprofloxacine

L'alerte part de Boca Raton en Floride, où deux cas de la maladie du charbon sont déclarés en moins d'une semaine. Peu après, de nouveaux courriers contaminés arrivent aux sièges de médias basés à New York (les chaînes NBC, ABC, CBS ainsi que le New York Post), puis atteignent le cœur du pouvoir : l'un d'entre eux est adressé à Tom Daschle, chef de la majorité démocrate au Sénat et principal partenaire de George W. Bush dans l'union sacrée politique mise en place au lendemain du 11 septembre. On retrouve aussi des traces d'anthrax à la Chambre des représentants et dans un bâtiment dépendant de la Maison-Blanche. En l'espace de trois semaines, les autorités sanitaires placent, à titre préventif, 10 000 Américains sous ciprofloxacine, seul traitement antibiotique efficace contre la maladie.

Deux postiers du centre de tri de Brentwood, par lequel transite le courrier destiné au Congrès et à l'exécutif américains, n'ont pas cette chance et meurent d'un anthrax pulmonaire fin octobre. Les médias vilipendent la pagaille qui règne entre les différentes administrations, l'extrême discrétion de Thomas Ridge, directeur du nouvel office dédié à la sécurité du territoire créé par George Bush fin septembre, les autorités sanitaires, en particulier le centre de contrôle et de prévention des maladies d'Atlanta. Celui-ci n'a pas su prévoir que la simple manipulation du courrier pouvait être dangereuse, pas plus qu'il n'a jugé utile d'ordonner la fermeture du centre de Brentwood, un dépistage systématique ainsi que la mise sous antibiotiques préventive des postiers. D'où ce constat amer des syndicats : « Les employés du tri postal n'ont pas eu droit aux mêmes précautions que le personnel politique. »

Au cours de leur enquête, les inspecteurs du FBI ont commencé par rechercher un lien avec Al-Qaida. Plusieurs des pirates de l'air impliqués dans les attentats du 11 septembre ont séjourné dans les villes d'où sont partis les courriers contaminés, dont certains se terminaient par la même phrase : « Mort à l'Amérique. Mort à Israël. Allah est grand. » Aucun élément n'est cependant venu confirmer l'implication d'Al-Qaida dans cette affaire.

Certaines voix ont également laissé entendre que la technique nécessaire pour obtenir un anthrax de la qualité de celui utilisé dans les lettres pouvait désigner l'Irak. Toutefois, Scott Ritter, ancien responsable de l'Unscom, estime que l'aide d'un État n'est pas indispensable pour se procurer des souches d'anthrax, « il suffit d'avoir une entreprise ou une compagnie pharmaceutique ». Aussi les enquêteurs n'écartent-ils pas la possibilité que les coupables soient américains. D'autant que le bioterrorisme n'est pas un phénomène nouveau outre-Atlantique. L'extrême droite a déjà montré ce dont elle était capable en 1995 avec l'attentat d'Oklahoma City...

Fin octobre, le porte-parole de la Maison-Blanche, Ari Fleicher, déclare que les spores d'anthrax avaient pu « être produites par un microbiologiste de niveau doctorat dans un petit labo sophistiqué », piste également envisagée un mois plus tard par le ministre de la Santé, Thomas Thompson.

Une même souche

Reste que si les enquêteurs ont établi que les bacilles placés dans les courriers provenaient tous de la souche « Ames », mise au point sur le territoire américain et désormais utilisée dans le monde entier, ils ignorent si la source est interne ou internationale.