Journal de l'année Édition 2002 2002Éd. 2002

Le protocole de Kyoto enfin applicable

Trois ans et demi après sa signature, le protocole de Kyoto sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre s'est enfin vu doté, à Bonn, de modalités d'application qui assurent sa survie, un moment menacée par le retrait américain. Cette victoire du multilatéralisme dans le domaine de la coopération internationale est notable.

« Nous avons là le plus grand accord international en ce qui concerne l'environnement », a estimé le ministre français Yves Cochet à l'issue de la sixième conférence des parties à la Convention des Nations unies sur le changement climatique, qui réunissait les représentants de 180 pays à Bonn, du 16 au 23 juillet. Non seulement, en effet, le protocole de Kyoto a survécu, mais ses modalités d'application ont enfin été précisées. Qui l'aurait prédit, après le fiasco retentissant de la réunion de La Haye, en novembre 2000, qui suivait les précédents échecs de 1998 à Buenos Aires et de 1999 à Bonn, et, plus encore, après le rejet du protocole par l'administration américaine, en mars 2001 !

Le protocole sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, conclu à Kyoto en décembre 1997, engage les pays industrialisés signataires à diminuer leurs rejets de 5 % d'ici à 2010. La concentration de ces gaz entraîne une augmentation de la température terrestre, dont certaines conséquences, comme l'élévation du niveau des eaux ou l'aggravation de la sécheresse, peuvent devenir dramatiques. Les pays de l'Union européenne, qui rejettent 24,2 % du total des gaz à effet de serre émis, ont toujours été à la pointe des négociations sur le changement climatique. Ils étaient les seuls, jusqu'à la conférence de Bonn, à affirmer leur volonté de ratifier le protocole de Kyoto. La Russie (17,4 %) et les autres pays européens (8,2 %) observaient un attentisme prudent. Le Japon (8,5 %) et le Canada (3,3 %) jugeaient difficiles de progresser dans ce domaine sans l'accord des États-Unis (36,1 %). Or ces derniers estiment que l'état des connaissances actuelles sur le climat ne justifie pas de décision précipitée. Washington explique sa position par le fait que des pays qui représentent « 80 % de la population du monde [...], dont la Chine et l'Inde », sont exemptés de l'application du protocole et que celui-ci, par ailleurs, « causerait un dommage sérieux à l'économie américaine » : on ne saurait être plus clair !

D'importantes concessions

Pour que le protocole de Kyoto entre en vigueur et devienne un traité international contraignant, il faut que des pays représentant 55 % des émissions de gaz à effet de serre l'aient ratifié. Les Quinze doivent pour cela convaincre la Russie et les autres pays européens, ainsi que le Japon. C'est pourquoi l'Union européenne a accepté de faire d'importantes concessions. Le texte de l'accord de Bonn apparaît ainsi en retrait par rapport au projet que les Quinze avaient choisi de rejeter à La Haye. Cette souplesse a permis le ralliement de Tokyo et d'Ottawa au compromis de Bonn, et laisse la porte ouverte aux États-Unis.

Le texte prévoit notamment que les volumes de gaz carbonique absorbés par les forêts seront décomptés de la totalité des gaz rejetés. Cette mesure permet d'alléger les efforts de réduction des émissions de gaz pour les pays dotés de nombreuses forêts, comme le Canada et le Japon. L'accord de Bonn autorise également un « marché » des droits d'émission avantageux : un pays industrialisé pourra déduire du total de ses émissions de gaz le montant de celles qu'il aide à réduire dans un pays du Sud. Cette mesure encourage les transferts de technologie en vue d'améliorer l'efficacité de la production d'énergie. La conférence crée aussi un Fonds d'adaptation destiné à aider les pays en développement à faire face aux conséquences du changement climatique. Ce fonds était exigé par le « G77 », qui regroupe les pays du Sud, sans l'accord duquel le texte n'aurait pu être adopté. En contrepartie, l'Europe est restée ferme sur la question du régime d'observance, c'est-à-dire du dispositif de vérification et de sanctions. Le texte adopté à Bonn crée un organisme de contrôle. Le pays qui contreviendrait à ses engagements serait contraint de réduire davantage ses émissions à la période suivante et ne pourrait plus participer au marché des droits d'émission.

Le triomphe du multilatéralisme

Il y a bien là l'esquisse d'un instrument juridique international pour le secteur de l'environnement. Aujourd'hui, la seule instance internationale susceptible de juger les activités d'un pays est la commission d'arbitrage de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), qui punit les infractions aux lois du libre-échange. C'est dire l'avancée représentée par l'accord de Bonn ! En dehors d'une reconnaissance officielle, par la communauté mondiale, de la nécessité de lutter contre le changement climatique, la conférence de Bonn délivre deux messages. Elle prouve qu'une négociation internationale concernant un domaine primordial pour l'avenir de la planète peut aboutir sans l'accord des États-Unis. Mieux encore, le retrait des Américains a contribué à replacer le problème à sa vraie place en substituant un axe de discussion Nord-Sud à celui qui opposait jusque-là l'Europe aux États-Unis. À Bonn, c'est le débat sur le développement, auquel les pays du Sud ont pris une part déterminante, qui l'a finalement emporté. La deuxième et principale leçon de la conférence de Bonn est qu'une gestion collective des problèmes planétaires est possible. Résumant l'impression générale, le président du G 77, l'Iranien Bagher Asadi, a vu dans l'accord « le triomphe du multilatéralisme et de la coopération sur l'unilatéralisme ».