Journal de l'année Édition 2002 2002Éd. 2002

Davos/Porto Alegre : quel capitalisme mondialisé ?

Du 25 au 30 janvier 2001 se sont tenus simultanément le 31e Forum économique mondial de Davos, en Suisse, et le premier Forum social mondial de Porto Alegre, au Brésil. Derrière les divergences radicales de façade, une question a traversé les débats dans les deux réunions : comment rendre la libéralisation économique mondiale plus humaine ?

D'abord, les forces en présence. D'un côté, Davos, station de ski située dans le massif suisse des Grisons, accueille pour la 31e année consécutive, du 25 au 31 janvier, le World Economic Forum (Forum économique mondial), où se retrouve chaque hiver le gratin mondial des entrepreneurs, décideurs politiques et économistes. Officiellement, pour discuter de l'avenir de la planète. Accessoirement, pour faire tourner le business : « Quand je viens ici, je gagne deux ans de rendez-vous », résume Helmut Maucher, P-DG de Nestlé et chantre, comme de nombreux autres invités à Davos, de la mondialisation libérale. De l'autre côté, Porto Alegre, capitale de l'État brésilien du Rio Grande do Sul (limitrophe de l'Uruguay), reçoit aux mêmes dates le premier Forum social mondial, conçu comme une réponse des organisations non gouvernementales (ONG) à Davos. Depuis 1992 et le Forum global des alternatives parallèle au Sommet de la Terre de l'ONU à Rio de Janeiro, ce « mouvement citoyen opposé à la mondialisation libérale », selon l'expression de Pierre Tartakowsky, secrétaire général de l'association Attac et co-organisateur du Forum social mondial, n'a cessé de s'amplifier. Avant Porto Alegre, son fait d'armes le plus brillant reste l'échec de la réunion de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) en décembre 1999 à Seattle.

En cause, donc, la mondialisation libérale ; c'est-à-dire la libéralisation de plus en plus poussée des échanges commerciaux internationaux, et l'affaiblissement des États-nations dans leur rôle de réglementation et de redistribution économique. Au cours des vingt dernières années, sous l'influence d'institutions internationales comme l'OMC, le Fonds monétaire international ou la Banque mondiale, ces deux phénomènes ont gagné du terrain. Mais ils l'ont fait au seul profit de ceux qui les ont impulsés : les pays du Nord. En matière agricole comme sur les produits textiles, les États-Unis et les pays européens n'ont fait tomber qu'une infime partie des barrières douanières et des subventions qu'ils s'étaient engagés à abolir dès le début des années 1980. Pendant ce temps, les pays en développement augmentaient leurs importations alors qu'ils ne pouvaient exporter davantage, aggravant ainsi le poids de leur dette. Au terme de ces vingt années, l'économie monde n'a jamais été aussi prospère. Mais ses fruits n'ont jamais été si inégalement répartis. Les pays riches, qui représentent 12 % de la population mondiale, s'accaparent 84 % de la production de la planète. Tandis qu'au Sud 3 milliards d'êtres humains (soit près de 50 % de la population mondiale) vivent avec moins de deux dollars par jour.

Sous le signe du social

Conscient de ces problèmes, les organisateurs du forum de Davos avaient placé l'édition 2001 sous le signe du social. Par les thèmes de discussions retenus, d'abord : « Soutenir la croissance », mais aussi « Combler les fossés », notamment dans les quatre domaines prioritaires des richesses, de la santé, de l'éducation et du numérique. Mais aussi par la qualité des invités : une quinzaine de dirigeants syndicaux, dont des membres de la CFDT et de Force ouvrière, ainsi que 70 ONG. Sans compter le président vénézuélien Hugo Chavez, présent au milieu d'une trentaine de dirigeants de pays du Sud qui, de toute façon, ont l'habitude de fréquenter la station des Grisons afin de vanter les mérites de leur pays auprès des investisseurs occidentaux ou japonais. « Notre mission est d'améliorer le monde », concluait Klaus Schwab, le fondateur du forum. Un monde qui ne semblait pourtant pas l'entendre de cette oreille, si l'on en croit les manifestations violentes qui ont eu lieu en marge de la réunion, et qui ont donné lieu à une forte répression policière, voire militaire.