En réalité, Ion Iliescu retrouve aujourd'hui le paysage économique et social roumain pour ainsi dire tel qu'il l'avait laissé, les gouvernements du président sortant Emil Constantinescu ayant été à peine plus audacieux dans les réformes engagées depuis 1997. C'est le coût social très lourd de ces timides réformes qui a d'ailleurs fait le lit des ultranationalistes mais aussi des anciens communistes, qui affichent un souci plus affirmé de justice sociale, ce qui n'est pas un vain mot dans un pays dont près de la moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. Trop précoce pour se traduire par une amélioration du niveau de vie des Roumains, la croissance économique avec laquelle a timidement renoué le pays cette année ne devrait pas suffire à contrebalancer les indispensables concessions que devra faire le nouveau pouvoir sur le plan social s'il veut se montrer à la hauteur de ses ambitions européennes.

La Roumanie a entamé en février des négociations d'adhésion avec l'Union européenne, mais elle devra accélérer les rythmes de ses réformes pour se mettre au diapason des exigences de Bruxelles et ne pas rester à la traîne des autres pays candidats. Le défi sera en tout état de cause difficile à relever pour Ion Iliescu, qui doit aussi répondre aux attentes de son électoral, généralement hostile à des changements qui risquent de remettre en question ses maigres acquis et aux yeux duquel l'immobilisme semble être la principale vertu du nouveau président. Un dangereux exercice d'équilibriste, que menacent de perturber à tout moment Vadim Tudor et son discours populiste qui a séduit de si nombreux électeurs roumains.

Gari Ulubeyan

Le spectre de l'extrême droite nationaliste

L'époque est bien révolue où Ion Iliescu pouvait manipuler les mécontents et organiser les descentes musclées des « gueules noires », les mineurs de la vallée du Jiu, dans les rues de Bucarest, comme en 1990 et 1991. De retour à la présidence, qui traduit selon lui une « victoire contre l'extrémisme », Ion Iliescu ne peut plus compter sur les nationalistes de tous horizons, qui se reconnaissent désormais dans leur leader charismatique, Corneliu Vadim Tudor, et dans son parti, Romania Mare, dont le nom fait déjà office de programme. Le double scrutin de novembre a permis l'entrée en force sur la scène politique roumaine du parti ultranationaliste, qui devient le deuxième parti du Parlement, tandis que son dirigeant a fait planer, entre les premier et deuxième tours de l'élection présidentielle, le spectre d'un retour au pouvoir à Bucarest de l'idéologie nationaliste et xénophobe de l'entre-deux-guerres. Le populisme est désormais du côté de Vadim Tudor, qui peut à tout moment jouer les agitateurs et exacerber les tensions contre un pouvoir « corrompu », comme il l'a montré en organisant la dernière marche sur Bucarest des « gueules noires » de la vallée du Jiu, où le gouvernement continue à fermer les mines, terreau de toutes les frustrations.