Journal de l'année Édition 2001 2001Éd. 2001

La Côte d'Ivoire dans la tourmente

La Côte d'Ivoire a évité de peu la guerre civile, fin octobre 2000. Après dix mois de régime militaire, ce pays clé de l'Afrique de l'Ouest devait connaître un retour pacifique à la démocratie. Mais le chef de la junte en a décidé autrement. Après avoir écarté la majorité de ses adversaires à la présidentielle du 22 octobre, le général Gueï a tenté par la force d'empêcher la victoire de Laurent Gbagbo, seul candidat de poids resté en piste. C'est finalement la rue qui a imposé le verdict des urnes.

En cette fin d'année 2000, la Côte d'Ivoire est passée à côté d'une guerre civile dont les répercussions auraient été dramatiques pour la région. Le 22 octobre, les électeurs se rendent aux urnes dans le calme pour une élection présidentielle censée mettre fin à dix mois de pouvoir militaire. Face à face : le général Robert Gueï, chef de la junte arrivée au pouvoir le 24 décembre 1999, et Laurent Gbagbo, opposant historique au « père de la nation » Félix Houphouët-Boigny. Les premiers résultats donnent L. Gbagbo largement vainqueur. Mais R. Gueï, qui était candidat malgré sa promesse initiale de s'éclipser après avoir « balayé la maison ivoirienne », n'entend pas lâcher prise.

Une affaire d'« ivoirité »

À son arrivée, à la faveur d'un soulèvement militaire qui a conduit à la fuite du président Henri Konan Bédié, fin 1999, cet ancien chef d'état-major des armées jurait qu'il quitterait rapidement le pouvoir, après avoir assaini la vie politique. Mais, au fil des mois, son régime s'est durci. Le débat sur « l'ivoirité », concept développé par le président renversé, a été relancé. Cette théorie nationaliste visait essentiellement à écarter son rival, Alassane Ouattara, d'une future présidentielle. Ancien Premier ministre d'Houphouët-Boigny, leader du Rassemblement des républicains (RDR) et vice-président sortant du Fonds monétaire international (FMI), il était accusé par ses adversaires de mentir sur sa nationalité, d'après eux burkinabé. Mais, alors que « le coup d'État de Noël » visait largement à mettre fin aux dérives du régime Bédié, le général Gueï, un temps accusé de faire le lit de A. Ouattara, a poursuivi sur la voie de son prédécesseur, avec le soutien d'une large part de la classe politique, dont le Front populaire ivoirien de L. Gbagbo. Ce débat trahissait en fait le goût que le général Gueï commençait à prendre pour le pouvoir et son souhait d'éliminer certains de ses adversaires. À partir du mois de mai, les dénonciations de complots, vrais ou supposés, ourdis par des proches de A. Ouattara ou par des militaires du Nord musulman, région dont celui-ci est originaire, se sont multipliées.

Le 23 juillet, un projet de constitution prévoyant de strictes conditions d'éligibilité à la magistrature suprême a été adopté par référendum. Selon le texte, un candidat à l'élection présidentielle doit, entre autres, être né de père et de mère ivoiriens d'origine et ne jamais s'être prévalu d'une autre nationalité. Par calcul politique, le parti de A. Ouattara a appelé à voter « oui » à un projet qui risquait pourtant d'exclure leur candidat de la présidentielle. De fait, si l'ancien Premier ministre a toujours affirmé être ivoirien, il a admis avoir occupé le poste de vice-président de la Banque centrale des États d'Afrique de l'Ouest pour le compte de la Haute-Volta dans les années 1980.

Sous la pression de la rue

Restait à savoir si le général Gueï allait résister aux pressions de la communauté internationale, pour qui l'exclusion de A. Ouattara, auquel s'identifient une grande partie des ressortissants du Nord, risquait de déstabiliser le pays. La réponse est tombée le 6 octobre lorsque la Cour suprême, présidée par un de ses proches, a non seulement invalidé la candidature de A. Ouattara, mais aussi celles des six personnalités se présentant au nom du PDCI, au pouvoir pendant quarante ans. Seul poids lourd politique resté en piste, L. Gbagbo, qui aurait pu boycotter le scrutin, a choisi de jouer son va-tout. L'opposant « historique », dont le parti était fortement représenté au sein du gouvernement de transition nommé par la junte militaire, s'est lancé dans une campagne marathon à travers tout le pays. Du coup, certains se sont pris à croire en sa victoire contre un chef de junte impopulaire.