Un homme va canaliser à lui seul toute la frustration d'un peuple qui a l'impression de vivre dans une prison sans barreaux. Il est journaliste, il a trente-neuf ans, il s'appelle Taoufik Ben Brik. Le 3 avril, ce correspondant de plusieurs agences de presse, et du journal français la Croix notamment, entame une grève de la faim pour protester contre le traitement que lui infligent les autorités tunisiennes. Durant 42 jours, il cessera de s'alimenter et perdra au final plus de 20 kilos. Surveillance policière autour de son domicile, intimidation contre ses proches, privation de passeport, ligne téléphonique coupée, séjours réguliers en prison, Taoufik Ben Brik ne supporte plus toutes ces brimades et ces atteintes aux libertés. Objet du délit ? Des articles publiés à l'étranger sur la face cachée du régime de Ben Ali, une diffusion de fausses nouvelles selon le régime... Son cas devient « l'affaire Ben Brik » et reçoit un écho favorable en Occident. Cette affaire renvoie aux pays de l'Union européenne qui entretiennent des relations étroites avec la Tunisie – parce que pôle de stabilité dans une zone de tensions (l'Algérie, Sahara occidental...) – l'image d'un pays totalitaire qui bafoue régulièrement les droits de l'homme. Le 21 avril, plusieurs députés européens proposent de geler les accords de coopération qui lient l'UE à la Tunisie pour non-respect d'une clause sur les droits de l'homme. La proposition sera finalement rejetée mais Ben Ali devient, provisoirement, moins fréquentable aux yeux de certaines démocraties occidentales. Des tensions au sein même du gouvernement tunisien apparaissent également en ce printemps 2000. L'épisode Ben Brik et, dans la foulée, la tentative d'assassinat contre un autre journaliste, Riad Ben Fadhel, va scinder en deux l'entourage de Ben Ali. D'un coté, il y a ceux emmenés par le porte-parole de la présidence Abdelwahab Abdallah, qui prônent coûte que coûte le maintien d'une ligne autoritaire nécessaire selon eux à la stabilité du pays. De l'autre, sous l'influence du ministre de la Défense, il y a ceux qui estiment au contraire qu'il est temps de faire des concessions notamment en matière de droits de l'homme. Ceci afin de rassurer les partenaires économiques de la Tunisie.

En libérant en juin dernier plusieurs prisonniers politiques dont Abdelmoumem Belanès ou encore Fahem Boukkadous, accusés d'appartenir au Parti communiste tunisien, en relançant au même moment l'Union du Maghreb arabe, Ben Ali décide finalement de jouer l'apaisement. Il espère ainsi redorer son blason, démontrer que son libéralisme autoritaire prend également en compte les libertés individuelles. Reste qu'après treize ans de pouvoir, Zine el-Abidine Ben Ali est toujours en quête de légitimité.

Grégoire Queinnec

Bourguiba, le père de l'indépendance

C'est le 3 août 1903 que naît à Monastir Habib Bourguiba. Après des études de droit à Paris entre 1924 et 1927, Bourguiba revient en Tunisie, un diplôme d'avocat en poche. Dès son retour, il adhère au Destour, un parti nationaliste, puis crée en 1934, le Néo-Destour, plus progressiste. Suite aux émeutes de Tunis en avril 1938, Bourguiba est emprisonné jusqu'en 1942. À sa libération, il part en exil à Rome mais revient clandestinement en Tunisie un an plus tard. De nouveau arrêté, l'instauration de l'autonomie interne en 1954 sonne son heure de gloire. Le 20 mars 1956, date de l'indépendance de la Tunisie, Bourguiba forme un gouvernement, puis devient le premier président de la République.