Chargés contre toute attente de signes emblématiques de la culture occidentale et de l'empire américain (Mickey, Coca-Cola...), les trente-quatre crânes surmodelés réalisés par Dettloff relèvent d'une interprétation à la fois sérieuse et satirique du culte des crânes ancestraux propre aux civilisations océaniennes, avec, en filigrane, une histoire détournée de l'idolâtrie – thème qui fait précisément l'objet d'une section importante de l'exposition de Lyon. Dis-moi qui tu admires, je te dirai qui tu es. Le facteur temporel est d'ailleurs très présent dans les thématiques adoptées par les commissaires, comme s'il était l'un des grands universaux de la collectivité humaine.

Le temps de la disparition et de l'érosion, le temps du renouvellement dans les rites, le temps de la rédemption. La mort, qui rétablit l'égalité entre tous les individus, de toutes conditions, est bien sûr très présente. Une section lui est consacrée, qui ouvre par un crâne reliquaire des îles Salomon. La mort sous sa forme allégorique, avec le genre baroque de la vanité pour prédilection dans de nombreuses œuvres occidentales rassemblées dans cette section. L'Italien Maurizio Cattelan qui présente un squelette assis par terre, des fleurs plantées au sommet du crâne, joue la carte d'une certaine parodie, geste d'insolence et de dérision face à la mort et ses représentations. L'Écossaise Christine Borland détourne la vanité dans des effets décoratifs. Avec son Service de porcelaine chinoise d'une famille anglaise (1998), elle propose une série sophistiquée de crânes en porcelaine blanche, peints de motifs de marine pareils à ceux ornant les services à thé de Chine, dans une sorte de relecture de la fragilité humaine visée ici à travers la forme délicate de la porcelaine. L'Américain Charles Le Dray confectionne avec une grande minutie et dextérité de délicates sculptures miniatures. Pour la Biennale, il a créé une pyramide de minuscules petits meubles et ustensiles domestiques taillés dans des os humains, fragile assemblage évoquant quelque rite funéraire, ex-voto de marin ou offrande aux ancêtres.

Reste en suspens le problème de l'interprétation des signes quand les codes ne nous sont pas fournis. C'est l'un des reproches que l'on peut adresser à la muséographie de ce projet à forte prétention anthropologique. Peut-être des cartels ou des fiches mises à la disposition du public auraient pu livrer, sans excès de pédagogisme, quelques repères sur ces systèmes référentiels qui nous échappent : signification de la peinture aborigène, symbolique des ligatures tonga, décryptage sommaire des signes ésotériques yoruba ou description d'une cérémonie rituelle en Inde du Sud... Autant de clefs pour une lecture plus ouverte et moins formaliste de certaines œuvres qui aurait donné une autre dimension au partage effectif des cultures et des exotismes.

Pascal Rousseau
Critique d'art