La Russie et le FMI

Août 1999 : les accusations tombent en rafales contre les autorités russes impliquées, dans plusieurs scandales financiers. À côté de l'affaire Mabetex, du nom d'une firme de construction suisse soupçonnée d'avoir versé des pots-de-vin à de hauts responsables du Kremlin, parmi lesquels Boris Eltsine et ses deux filles, il y a le détournement par la Russie d'importants crédits du FMI et le blanchiment d'une partie de cet argent par l'intermédiaire de banques américaines. Comment le « banquier planétaire » a-t-il pu ainsi être floué ? « Russiagate », « plus grande kleptocratie », quelles sont les conséquences de cette gigantesque « arnaque » ?

C'est par l'intermédiaire d'un enquêteur russe en charge du dossier Mabetex, Gueorgui Tchouglazov, et de l'ancien procureur de Russie, Iouri Skouratov, que le scandale a éclaté. Personne n'ignorait la corruption des milieux financiers russes ni même le blanchiment d'argent par les banques occidentales, mais les deux hommes ont parlé. Et c'est ainsi qu'il a été question du détournement par une douzaine de responsables russes d'une quinzaine de milliards de dollars, dont dix en provenance du FMI, via des comptes aux États-Unis. Sur la seule tranche de crédit de juillet 1998, 3,9 milliards sur les 4,8 prêtés par le FMI ne sont jamais parvenus en Russie, et 471 millions seulement ont été utilisés pour soutenir le rouble.

Le banquier planétaire volé

L'un après l'autre, l'enquêteur et le procureur ont dénoncé le détournement par la Russie des crédits du FMI et leur blanchiment dans un contexte plus général d'évasion des capitaux. Selon l'agence de cotation internationale Fitch Ibca, « 138 milliards de dollars ont ainsi quitté la Russie entre 1993 et 1998 ». Complexe, le circuit de l'argent blanchi laisse entrevoir certaines de ses pistes. Cinq banques new-yorkaises, dont la plus prestigieuse, la Bank of New York, servent de points de transfert. Sans jamais transiter vers Moscou, l'argent, après être passé par ces relais américains, est déposé directement sur les comptes de banques privées et « amies », ou encore sur ceux de compagnies off-shore dans le Pacifique sud ou les Caraïbes, notamment.

Connus de longue date, ces réseaux trahissent une des faiblesses majeures du FMI : son incapacité à contrôler l'utilisation des financements. L'institution se refuse à toute ingérence politique. « Société par actions » dont le capital est constitué des souscriptions des différents États (à proportion de la taille des économies), les principaux actionnaires étant les membres du G7, le Fonds monétaire vient en aide aux économies à problèmes par l'octroi de financements.

En cas de détournement, la responsabilité des 24 membres permanents du conseil d'administration, qui représentent 182 pays souverains, est donc engagée. Or, la seule condition à l'aide réside dans la mise en place de politiques monétaires, budgétaires et fiscales appropriées. Interrompre les financements lors d'une fraude prouvée est particulièrement lourd de conséquences, notamment sur le plan politique. Les statuts ne le prévoient qu'en cas de non-respect des engagements macroéconomiques. Dans le cas de la Russie, les crédits débloqués ont un double objectif : l'amélioration de la situation budgétaire et la mise en place de réformes structurelles, notamment dans le secteur bancaire.

Les conséquences du scandale

Au lendemain de la disparition de l'URSS, les institutions internationales savaient qu'une part de l'aide financière était détournée au profit d'oligarchies. Mais elles pensaient que le laisser-faire était le prix à payer pour la modernisation et la libéralisation des économies. Aujourd'hui encore, c'est en se référant précisément au respect des critères macroéconomiques que le directeur général du FMI, Michel Camdessus, a construit sa « défense ». Pour justifier le versement de l'aide contestée, il souligne que la Russie a atteint les objectifs économiques exigés par le FMI : arrêt de la chute du PIB, production industrielle en hausse, collecte d'impôts (point faible de l'économie russe) plus facile. Loin d'user de l'ultime recours (suspension des financements), il décide donc en plein scandale de maintenir sa confiance et d'envoyer une mission d'experts à Moscou pour vérifier si la Russie a bien atteint les objectifs économiques nécessaires au versement d'une nouvelle tranche de 640 millions de dollars d'aide internationale prévue depuis juillet. Interviewé dans Libération, M. Camdessus, citant les résultats des premiers audits réalisés, note simplement que la seule chose prouvée est que la banque centrale russe a menti sur ses réserves de 1996 et sur ses transactions légales mais dissimulées avec la Fimaco, une de ses filiales de Guernesey. Une manière de déplacer le problème et d'ajouter un nouveau volet au dossier. La position du FMI est immédiatement dénoncée par Washington, qui fait savoir par la voix de son secrétaire au Trésor, Larry Summers, que le gouvernement américain ne soutiendra pas « le versement de la prochaine tranche sans, d'une part, la mise en place de garde-fous appropriés qui garantiront que les fonds alloué seront utilisé à bon escient et, d'autre part, sans avoir un rapport précis sur l'utilisation des versements précédents ».