Les mots-clés de l'année

Alliance

Au premier semestre, l'opposition de droite est en plein désarroi. La cote de Lionel Jospin est au plus haut dans les sondages, les perspectives économiques et sociales sont bonnes et le camp conservateur n'en finit pas de se diviser, surtout après le cauchemar des régionales et le drame des alliances locales avec le FN. Philippe Séguin, président du RPR, cache mal ses dissensions avec Jacques Chirac, et François Léotard, encore président de l'UDF, cherche un moyen de rester en place, alors que tout semble se dérober sous ses pieds. Les deux leaders ont alors l'idée de fédérer l'opposition républicaine en un ensemble unifié, l'Alliance, qui aurait l'avantage de gommer les oppositions entre les deux grandes tendances de la droite, notamment en matière européenne. Les débuts de la nouvelle organisation, lancée le 14 mai, sont difficiles et les sceptiques nombreux. Mais, avec l'automne, la donne change : F. Léotard est parti et P. Séguin a raffermi sa position en se rapprochant du président Chirac. L'Alliance semble en ordre de marche pour les prochaines élections européennes.

Bombe

Le 11 mai, le gouvernement nationaliste indien de Atal Behari Vajpayee fait procéder à cinq nouveaux essais nucléaires. Moins de trois semaines plus tard, le frère ennemi pakistanais procède à son tour à de tels essais et rentre dans le club – de moins en moins fermé – des puissances nucléaires (États-Unis, Russie, France, Grande-Bretagne, Chine, Inde, et d'autres potentiellement, comme Israël). Les États-Unis en tirent deux conséquences : d'une part, leurs services de renseignement n'ont pas été en mesure de les informer à l'avance de ces événements considérables ; d'autre part, le pays le plus puissant du monde n'a plus les moyens d'arrêter la prolifération nucléaire. Inquiétant.

Cumul des mandats

La modernisation de la vie politique française constitue un des grands thèmes du débat entre majorité et opposition. Jacques Chirac et Lionel Jospin rivalisent sur ce sujet à grands coups de discours. La limitation du cumul des mandats des élus est, avant la parité hommes-femmes ou la réforme des modes de scrutin, la mesure la plus populaire dans l'opinion. Mais pas la plus facile à réaliser, car trop d'intérêts sont en jeu. Le Premier ministre avait déclaré dès sa prise de fonction que « limiter drastiquement le cumul des mandats est une priorité ». Un peu plus d'un an plus tard, le gouvernement présentait un projet de loi interdisant aux parlementaires de détenir également la direction d'un exécutif local (conseil municipal, général, régional). Le Sénat a très vite voté contre un tel projet... au grand soulagement de nombreux parlementaires de gauche. La partie est loin d'être terminée...

Effectif (temps de travail)

Avec la mise en application de la loi sur les 35 heures, bien des aspects de la vie professionnelle sont « remis à plat » : conventions collectives, définition des tâches et temps de travail « effectif », c'est-à-dire effectivement affecté à la production. Les absences pour besoins naturels, les pauses sur les chaînes, la visite à la machine à café, tout devrait être compté, pour être ensuite décompté du temps menant aux 35 heures de référence. Les débats continuent.

EPO

L'érythropoïétine fut avec la nandrolone et quelques autres produits prohibés la grande vedette du Tour de France 1998. Il est apparu au grand jour ce qui était pour tous les connaisseurs du cyclisme un secret de polichinelle : de nombreux coureurs se sont dopés d'une façon continue et systématique. Après le vélo, d'autres sports ont été à leur tour éclaboussés par l'accusation de dopage : football, rugby, athlétisme, etc. Richard Virenque fut le héros malheureux de cette saga de l'EPO : en dépit du bon sens, il a continué à nier toutes les accusations de dopage qui pesaient contre lui. Résultat : les Guignols de Canal + l'ont immortalisé avec la formule, désormais célèbre, « à l'insu de mon plein gré », et le malheureux sportif a été contraint de mettre un terme à sa carrière.

Félon

Avec « Brutus », c'est un des qualificatifs les plus utilisés par Jean-Marie Le Pen pour qualifier son ex-numéro 2, Bruno Mégret, depuis leur rupture tonitruante du mois de décembre. Le président du FN aime à utiliser ces termes issus du langage de la chevalerie, typiques d'une certaine rhétorique. L'implosion du FN, qui va devoir probablement présenter deux listes aux européennes de 1999, constitue une divine surprise pour la droite républicaine, qui voit s'éloigner le risque d'être prise en otage par les amis de M. Le Pen, comme cela s'est produit lors des élections régionales de mars. Il n'empêche que les problèmes – chômage, mal des banlieues, xénophobie – qui ont conduit à l'émergence d'un parti d'extrême droite, unique à ce niveau (15 % des voix) au sein des grands pays industrialisés, demeurent.

Hedge funds

En 1997, on avait beaucoup parlé des fonds de pension, qui gèrent les assurances privées, notamment dans les pays anglo-saxons. Cette année, ce fut le tour des hedge funds, c'est-à-dire des « fonds de couverture », destinés à couvrir leurs souscripteurs des variations des marchés. Ces fonds, le plus souvent anglo-saxons, spéculent sur les monnaies, notamment dans les pays émergents. Leur poids financier est estimé à plus de 1 000 milliards de dollars. Avec la crise des pays émergents d'Asie et d'Amérique latine, ces hedge funds, notamment celui contrôlé par George Soros, ont connu de fortes turbulences. L'un des plus cotés d'entre eux, l'américain Long Term Capital Management, s'est retrouvé au bord de la faillite. Sa chute aurait ébranlé si sérieusement le système financier international que la Banque centrale américaine a dû rameuter quinze grandes banques privées ; pour renflouer LTCM à hauteur de 3,5 milliards de dollars. Les dirigeants du G7 réfléchissent depuis aux meilleurs moyens : de réguler un minimum ces circuits d'argent.

Impeachment

Il s'agit de la procédure de destitution du président américain. Officiellement engagée contre Bill Clinton, à la suite du scandale Lewinsky (du nom de cette stagiaire à la Maison-Blanche avec qui le président des États-Unis a eu une aventure sexuelle), elle remet en cause le fonctionnement des institutions américaines : les procureurs spéciaux, institués dans les années 70 à la suite de l'affaire du Watergate et chargés d'instruire en tout ; indépendance contre d'éventuels agissements répréhensibles du chef de l'exécutif, n'ont-ils pas trop de pouvoirs ? D'autant que leur neutralité politique est loin d'être garantie. Un pays aussi puissant que les États-Unis peut-il être bloqué pendant des mois, voire des années, pour de simples peccadilles montées en épingle par des magistrats et des parlementaires que beaucoup considèrent comme motivés uniquement par un ultra-conservatisme ou des arrière-pensées politiciennes ? D'autres estiment, cependant, que les États-Unis sont le pays du droit et, qu'à ce titre, on n'y transige pas avec la loi, même pour des peccadilles.

La (ministre, député, préfet, etc.)

Une de ces batailles sémantiques que la vie française affectionne. En mars, le Premier ministre fait publier une circulaire visant à ce que « la féminisation des appellations professionnelles entre dans nos mœurs ». Aussitôt, l'Académie française, qui ne pratique guère la parité hommes-femmes dans ses rangs, s'oppose à cette circulaire. Le combat fait alors rage. On rappelle qu'il n'y a jamais eu de problème à dire « la » concierge, mais que les restrictions apparaissent au fur et à mesure que l'on monte dans la hiérarchie sociale. On atteindra le sommet quand, au député DL Charles-Amédée de Courson, qui s'était fait un plaisir de lui dire « le » ministre, Élisabeth Guigou, garde des Sceaux, répondit : « Je vous demande de respecter ma féminité et mon sexe. »

MEDEF (Mouvement des entreprises de France)

C'est le nouveau nom du CNPF. Un an après son arrivée à la tête du syndicat patronal, Ernest Antoine Seillière a voulu montrer qu'une page était tournée, celle d'un patronat trop habitué aux grandes négociations arbitrées par l'État, dont le MEDEF n'acceptera plus à l'avenir aucune subvention. Place désormais à l'entreprise, de plain-pied dans la mondialisation et le libéralisme. À noter, le poids grandissant dans l'organisation de Denis Kessler, théoricien d'une conception plus anglo-saxonne de l'entreprise et des relations sociales.

Mémé (surnom d'Aimé Jacquet)

La victoire des Bleus en Coupe du monde de football, c'est aussi celle de « Mémé », travailleur humble face aux snobs du ballon rond, la revanche des petits face aux industriels du sport, le triomphe de la province confrontée aux sarcasmes hautains du parisianisme. Une victoire d'autant plus cinglante que « Mémé » fut brocardé pendant des mois par l'Équipe, le grand quotidien du sport, qui lui reprochait son manque d'audace et d'ambition. « Mémé », ce sont les valeurs de la France profonde mais efficace, celle du travail et du collectif. Attention tout de même à une certaine résurgence du poujadisme.

Nouveau centre

Après le New Labour (« nouveau Parti travailliste ») de Tony Blair, le Neue Mitte de Gerhard Schröder s'est imposé dans le lexique politique de l'Europe. Signifie-t-il, comme son équivalent britannique, un sérieux virage à droite de la vieille tradition sociale-démocrate, une rupture en douceur ou, au moins, une mise à distance avec les centrales syndicales et une reconnaissance encore plus affirmée de l'économie de marché ? La campagne du candidat Schröder l'a laissé penser, mais la composition du nouveau gouvernement et le poids pris au sein de celui-ci par Oskar Lafontaine a quelque peu nuancé les choses. Le « nouveau centre » de G. Schröder est une sorte de compromis entre l'approche plus classiquement socialisante de Lionel Jospin (une forme de volontarisme social, économique et européen est revendiquée) et le credo plus individualiste (accent mis sur l'initiative personnelle) des Britanniques. « Nouveau centre », diront certains, une autre façon de désigner la pensée unique.

PACS (pacte civil de solidarité)

Un des grands psychodrames de l'année parlementaire 1998. Cela commence en octobre, quand la gauche, par étourderie (ou par crainte de froisser son électorat plus âgé), voit le texte repoussé à l'Assemblée nationale, ses députés s'étant abstenus d'assister au débat en si grand nombre que l'opposition s'est retrouvée majoritaire. Pendant tout le mois de novembre on s'interroge sur la vraie portée du texte : un mariage pour les homosexuels ? une remise en cause insidieuse de l'institution de la famille ? En décembre, le texte revient en discussion. Christine Boulin, député DL et grande opposante au projet, monopolise la parole pour retarder l'adoption de la proposition de loi. Quand Lionel Jospin la traite de « marginale », elle fond en larmes, puis se reprend après avoir reçu un magnifique bouquet de fleurs. Il n'empêche, un néologisme est né : désormais, on pourra « pacser ».

Particules élémentaires

Les Particules élémentaires de Michel Houellebecq constituent, sans conteste, le roman français de l'année, pour sa qualité littéraire peut-être (encore que beaucoup estiment que Extension du domaine de la lutte, premier roman de l'auteur, était bien supérieur), mais, surtout, pour le parfum de scandale qui a accompagné la sortie du livre. Tout était réuni pour que l'on assiste à une vraie polémique germano-pratine (du quartier Saint-Germain-des-Prés, où siège la plupart des maisons grand'édition) : un auteur énigmatique et grand fumeur de cigarettes, des accusations de fascisme rampant (l'auteur développe des thèses biologiques jugées suspectes) et d'antiféminisme caractérisé, l'exclusion de l'auteur d'un groupuscule littéraire qui avait son siège dans un café du Marais, l'affirmation d'un style dit « minimaliste » (que l'on retrouve chez d'autres auteurs jeunes, comme Virginie Despentes), où les effets de langue sont bannis mais pas les allusions sexuelles les plus crues.

Portail

Site sur Internet proposant au grand public sur une seule page les informations de la journée, un annuaire de sites, un moteur de recherches (avec des mots-clés), les messages électroniques personnels, etc. C'est le grand enjeu du web pour l'année à venir. Microsoft, Netcape, AOL, Disney, Time Warner sont là pour tenter de rafler la mise. Jusqu'à ce qu'une autre mode arrive, notamment celle des portails thématiques. Car, sur le web, la vérité n'est jamais permanente.

Viagra

La pilule du bonheur, l'érection sur ordonnance. Invention américaine, le Viagra est arrivé en France à l'automne, au prix de 60 francs la pilule. S'il est, en principe, destiné aux seuls hommes souffrant de troubles de l'érection (un sur dix, paraît-il), le Viagra est devenu une source de fantasmes et de plaisanteries sans fin. Car on ne touche (si l'on peut dire) pas à cette affaire sans déclencher une franche hilarité, qui n'est souvent pas autre chose qu'un réflexe de défense. À noter, d'un point de vue scientifique, que les trois titulaires du prix Nobel de médecine 1998, sont indirectement à l'origine du Viagra. Leurs recherches sur l'oxyde nitrique et sur la dilatation des vaisseaux sanguins ont servi aussi bien au traitement des maladies cardiaques qu'à celui des pannes de la virilité.