Journal de l'année Édition 1997 1997Éd. 1997

Gastronomie

Les contraintes financières de la restauration sont apparues dans toute leur ampleur en 1996. Pierre Gagnaire, le trois-étoiles de Saint-Étienne, a déposé son bilan le 29 janvier : le restaurant a fermé le 14 mai. Second coup de tonnerre : le 2 septembre, Marc Veyrat déclare : « Je suis au bord du gouffre », en révélant habilement qu'il tente en vain de renégocier les prêts qui lui ont été accordés lors de son installation à l'Auberge de l'Éridan, sur les rives du lac d'Annecy. Les échéances ont été finalement allégées et échelonnées sur une plus longue période : l'établissement reste solide et rentable. Au contraire, Pierre Gagnaire a dû amorcer une nouvelle carrière à Paris, rue Balzac, le 25 novembre, Saint-Étienne, en période de crise, n'étant plus le lieu idéal pour « le musée vivant des arts de la table », que Gagnaire avait conçu.

La vitalité de la recherche culinaire patiente et inventive, couronnée parcimonieusement par une troisième étoile, ne s'éteint pas malgré la récession. Le guide Michelin a consacré le talent affirmé avec constance depuis une vingtaine d'années par Alain Passard, qui avait fondé Arpège, rue de Varenne, lorsque Senderens avait abandonné l'Archestrate pour Lucas-Carton. Attaché à la cuisine bourgeoise de tradition, Passard a su l'alléger, la moderniser et la renouveler, en travaillant sans cesse les alliances et les contrastes de saveurs, en étudiant une large gamme de produits sélectionnés sur place avec un soin extrême. Les aiguillettes de homard et navet à l'aigre-doux au romarin, le poulet de Janzé fumé et ravioles de foie gras à la fondue d'oignons et, au dessert, l'inattendue tomate farcie confite aux douze saveurs ont illustré ce goût du classicisme rajeuni par l'innovation.

Guerre des étoiles

Sous l'égide d'un auteur de guide, spécialiste de la communication, Blanc, Ducasse, Loiseau, Robuchon et Westermann ont lancé une mise en garde contre la mondialisation de la cuisine et un appel en faveur du respect de l'identité culinaire française. Une réplique à ce manifeste, inspirée par Guérard et Senderens, ralliant Boyer, Gagnaire, Meneau, Passard et Veyrat, plaide pour la liberté d'inspiration. En réalité, les pratiques culinaires des protagonistes ne justifient pas toujours leur appartenance à l'un des deux camps.

Le combat pour la propagation des arts de la table sera mené désormais tous azimuts par Joël Robuchon. Souhaitant abandonner ses fonctions de chef à cinquante ans, Robuchon a tenu parole le 5 juillet, avec un an de retard. Exigeant et impitoyable, toujours présent en cuisine, vivant sous tension, il désirait rester au service de son art avec moins de contraintes. Dès maintenant, Robuchon exerce un nouveau sacerdoce : une chronique culinaire, Cuisinez comme un grand chef, sur TF1, la publication de livres, le conseil auprès du Larousse gastronomique ou d'établissements de restauration recherchant l'avis d'un consultant éclairé, l'examen des ressources culinaires du Japon, dans le cadre de son restaurant de Tokyo, et, rêve ultime, en commun avec le chef suisse Freddy Girardet, l'ouverture d'une école de cuisine. L'initiative prise par Robuchon a suscité un autre défi : Alain Ducasse, qui a succédé à Robuchon le 12 août, continue à diriger le Louis XIV, à Monte-Carlo, cumulant ainsi la charge de deux restaurants trois-étoiles. Les résultats de ce pari seront sourcilleusement examinés par les critiques.

La cuisine lyonnaise a contribué à la réussite de la réunion du G 7 à Lyon, à la fin du mois de juin. Le dîner d'accueil a été l'œuvre collective des trois-étoiles de la région, Bocuse, Georges Blanc, Michel Troisgros et Marc Veyrat. Les festivités se sont poursuivies lors de déjeuners élaborés par Nandron et Orsi et par une réception chez Léon de Lyon.

Le vin

Le temps incertain de l'été a été compensé par une belle arrière-saison. Selon l'Office interprofessionnel des vins, « la vinification des premières cuvées laisse entrevoir un millésime aromatique et des vins élégants ».

« Vache folle »

La crainte de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, transmise par la viande des bovins atteints d'encéphalopathie spongiforme, a modifié les habitudes alimentaires. La consommation de viande de bœuf a décliné. Les ris de veau ont disparu des menus, le vol-au-vent, dépourvu d'amourette, perd son identité et la cervelle n'accompagne plus la tête de veau.

Larousse gastronomique, avec le concours du Comité gastronomique présidé par Joël Robuchon (1996).
Alain Ducasse, Méditerranée, cuisine de l'essentiel, Hachette, 1996.

Georges Grelou