Curieusement, ce théâtre d'acteurs célèbres a, par le hasard du calendrier et par cette concomitance des goûts sécrétés par l'air du temps, fait d'Oscar Wilde l'un des auteurs de l'année. En effet, Anny Duperey, Dominique Sanda et Didier Sandre ont joué avec brio Un mari idéal (théâtre Antoine), comédie sociale sur une affaire gênante qui embarrasse un homme politique. Par ailleurs, l'ancien ministre de la Justice, Robert Badinter, a fait jouer sa première pièce, C.3.3. (Colline), qui décrit l'implacable machine judiciaire s'abattant sur Wilde, condamné pour homosexualité : l'acteur Roland Bertin a dessiné le personnage de l'écrivain avec une belle faconde douloureuse. Si cette deuxième œuvre a été mal reçue par la critique, les deux spectacles ont été des succès publics.

Tardive revanche pour Oscar Wilde, mort ruiné et oublié à Paris en 1900 !

Les cent ans du théâtre du Peuple

À Bussang, petite ville des Vosges, le 1er septembre 1895, le poète et homme de théâtre Maurice Pottecher ouvrait le théâtre du Peuple. Au fronton, une devise : « Par l'art, pour l'humanité. » Les pièces sont jouées à la fois par le peuple (les habitants sont associés à la réalisation et à la distribution) et pour le peuple (c'est un des premiers exemples de décentralisation). Le répertoire est constitué d'œuvres de Maurice Pottecher (féeries, comédies, tragédies symbolistes) et de classiques. Le fondateur dirigera son théâtre, qui ne fonctionne qu'en été, jusqu'à sa mort, en 1960, mais il reçoit en 1946 l'aide de Pierre Richard-Wilm, qui en sera longtemps le directeur artistique bénévole. Au cours de ces dernières années, le théâtre a perdu ce statut amateur et a été confié à des professionnels. Le centenaire a été célébré par des expositions dans la ville, la région et jusqu'en Avignon, par la reprise de deux pièces de Maurice Pottecher et la création d'une pièce de Serge Valetti (toutes mises en scène par Philippe Berling), par la publication enfin de plusieurs livres, dont un de Frédéric Pottecher, neveu de Maurice (Un siècle de passions au théâtre du Peuple de Bussang, Éd. Gérard Louis, Remiremont, 1995).

Nominations

Dans le cadre d'un développement de la francophonie, le metteur en scène roumain Silvio Purcarete a été nommé à la tête du Centre dramatique du Limousin, à Limoges (où a lieu chaque année le Festival international des francophonies) ; il remplace Arlette Téphany et Pierre Meyrand. Le ministre de la Culture, Philippe Douste-Blazy, a annoncé des nominations qui deviendront effectives l'année prochaine : Georges Lavaudant remplacera Lluis Pasqual à l'Odéon-théâtre de l'Europe et Alain Françon succédera à Jorge Lavelli, qui, atteint par la limite d'âge, quittera le Théâtre de la Colline.

Disparitions

Jean-Luc Boutté, sociétaire de la Comédie-Française, est mort à Paris le 27 février, âgé de 47 ans : il avait été un magnifique chevalier, au côté d'Isabelle Adjani, dans Ondine, de Giraudoux, et avait signé de nombreuses mises en scène, dont celle de Lucrèce Borgia, de Victor Hugo, en 1994. L'écrivain congolais Sony Labou Tansi est mort à Brazzaville le 14 juin, âgé de 48 ans. Animateur du Rocado Zoulou Théâtre, très grand poète de la scène, il était l'auteur de nombreuses pièces jouées au Congo et en France (Je soussigné cardiaque, 1981 ; Moi, veuve de l'empire, 1987).

Prix

Le prix de théâtre de l'Académie française a été attribué à Roland Dubillard. Celui de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques à Loleh Bellon. Parmi les molières, celui du meilleur spectacle privé est allé à Art, de Yasmina Reza, et celui du meilleur spectacle subventionné à Les affaires sont les affaires, de Mirbeau, par la Compagnie Téphany-Meyrand, Centre dramatique du Limousin. Parmi les prix du Syndicat de la critique : prix du meilleur spectacle à Oblomov, d'après Gontcharov, mis en scène par Dominique Pitoiset, et prix du meilleur spectacle en province à Pièces de guerre, d'Edward Bond.

Pierre Laville (sous la direction de), l'Année du théâtre 1994-1995, Éd. Sand, Paris, 1995.
Gisèle et Jean Boissieu, Avignon : l'après-Vilar (1968-1994), photographies de Maurice Costa, Éd. Autres Temps, Marseille, 1995.
Jean-Pierre Sarrazac, Théâtres du moi, théâtres du monde, Éd. Médiane, Rouen, 1995.
Josette Féral, Dresser un monument à l'éphémère. Rencontres avec Ariane Mnouchkine, Éd. théâtrales, 1995.

Gilles Costaz