Journal de l'année Édition 1996 1996Éd. 1996

Les avocats plaidèrent le procès politique. Pierre Botton s'en prit à Michel Charasse et Bernard Tapie, les désignant comme « responsables de tous [ses] ennuis ». Six semaines plus tard, le 20 avril, le tribunal rendait son jugement : Pierre Botton était condamné à 4 ans de prison, dont 2 avec sursis et 2 millions d'amende ; Michel Mouillot et Michel Noir à 15 mois avec sursis, 200 000 F d'amende et 5 ans d'inéligibilité ; Patrick Poivre d'Arvor à 15 mois avec sursis et 200 000 F d'amende. Michel Mouillot et Michel Noir, qui voulaient se présenter aux élections municipales, ont fait appel. Patrick Poivre d'Arvor et le ministère public également.

Jugement à Valenciennes

C'est devant le tribunal de Valenciennes que se déroule le dernier épisode de l'affaire OM-Valenciennes. Le feuilleton rocambolesque qui, depuis le 19 mai 1993, tient la France en haleine, est une histoire plus proche des Pieds Nickelés que des Trois Mousquetaires. Tous les fils de ce mélo aboutissent à Bernard Tapie. Est-ce bien lui qui a demandé à son directeur (Jean-Pierre Bernès) de truquer le match OM-Valenciennes ? Est-ce lui encore qui a fait pression sur Boro Primorac, l'entraîneur croate de Valenciennes, pour qu'il innocente les Marseillais ? Autre question troublante. Comment le député Jacques Mellick, témoin numéro un de Bernard Tapie, a-t-il pu se trouver le même jour à Paris, dans le bureau de Bernard Tapie, et à la mairie de Béthune, où il sablait le Champagne avec ses collaborateurs ?

Pour élucider tous ces mystères, le président Langlade a prévu plus de dix jours. C'est dans l'ancienne salle à manger d'un élégant hôtel du xviiie siècle que les débats se déroulent. Mais, comme à Bastia pour le procès de l'effondrement de la tribune du stade Furiani, les débats sont retransmis en direct par vidéo dans une autre salle. Dans les deux salles, on ne voit et on n'entend qu'un prévenu, les cinq autres font de la figuration. Pendant dix jours, Bernard Tapie, accusé de corruption active et subornation de témoin, monopolise l'attention. Il faut le voir, bras levé, claquant des doigts pour attirer l'attention, coupant la parole aussi bien à son avocat qu'à ses adversaires et même au président, pour se lancer, avec un brio de bonimenteur, dans d'interminables digressions. On le rappelle à l'ordre, on le menace d'expulsion. Alors, en souriant, il s'excuse... pour recommencer quelques minutes plus tard. Mais au tribunal Bernard Tapie préfère les caméras et les micros. À chaque suspension d'audience il se précipite vers eux, car là il n'y a personne pour lui couper la parole ou le contredire. En fait, il y a deux procès qui se déroulent en même temps : celui que le président Langlade instruit classiquement et celui que le « président Tapie » raconte avec complaisance. Jamais encore un prévenu n'avait bénéficié d'une telle tribune médiatique. À force de trop parler, Bernard Tapie s'embrouille et ses vérités successives font très mauvais effet. « Ici, c'est un tribunal, pas la télévision, je le regrette », lui rappelle ironiquement le président. À côté de Bernard Tapie, Jean-Pierre Bernès, avec son long visage tourmenté, contraste. L'ancien directeur de l'OM, dans une lettre écrite au juge d'instruction, avait promis de dire toute la vérité. Lors de la première journée du procès, à 17 h 25, il tient enfin parole. Oui, il a bien tenté de corrompre les joueurs de Valenciennes, et sur instruction de Bernard Tapie. La réponse de Bernard Tapie est longue. Trop longue et pas convaincante du tout. Tout, selon lui, s'expliquerait par le désir de débarrasser le football français de son diable (lui-même). Bref, c'est un complot. Et puis les accusations de Bernès seraient dues à la fatigue, aux pressions inouïes pesant sur lui et aux promesses de réintégration qui lui auraient été faites. Mais Bernard Tapie tient à préciser que Jean-Pierre Bernès reste un ami...

Avec une belle unanimité, c'est ce que, presque mot pour mot, Jean-Louis Levreau, vice-président de l'OM, Alain Laroche, directeur financier du club marseillais, et même Michel Coencas, curieux ancien président de Valenciennes, viennent déclarer à la barre. « Je ne suis pas là pour défendre Monsieur Tapie, il ne m'a pas acheté. » La main sur le cœur, la compassion au visage, les hommes de Bernard Tapie expliquent au président que, vraiment, ils ne comprennent pas qu'un homme aussi intelligent et droit que Jean-Pierre Bernès puisse s'accuser d'une telle vilenie et surtout oser mettre en cause Bernard Tapie. Interrogé sur la tentative de corruption, Michel Coencas jure qu'il n'y croit pas. Et c'est un expert qui parle. Sa vision du match OM-Valenciennes est pour le moins impressionniste : « J'ai vu des joueurs courir après un ballon. À un moment, le ballon est entré dans un but. Vous dites que j'ai déposé des réserves. La seule réserve que je connaisse est celle de ma cave à vins. »