(Sous la dir.) Ghassan Salamé, Proche-Orient, les exigences de la paix, Complexe, 1994.

Myriam Bahout

Égypte : deux tactiques pour un même combat

En Égypte, c'est le combat du pouvoir contre les intégristes qui occupe le devant de la scène. Il est mené en deux temps : d'abord, contre les militants armés ; puis contre les Frères musulmans, l'issue de cette deuxième phase restant incertaine et dans tous les cas plus délicate.

La répression des islamistes du Djihad et des Gamaat islamiyya s'est faite pour sa part sans grande peine, ni risque majeur pour l'État égyptien. D'une part parce que celui-ci a bénéficié de la réprobation générale de la population à l'égard des islamistes terroristes après les menaces et attentats perpétrés par ces derniers contre les investisseurs et touristes étrangers ; d'autre part parce que ces militants appartiennent en majorité à une frange sociale déshéritée et privée de toute protection influente. La tâche policière de l'État s'en est trouvée largement facilitée : au bout de quelques semaines, les rafles opérées par ses services ne rencontrent quasiment plus d'obstacles. Résultat : en juin, le nombre de prisonniers politiques, essentiellement islamistes, s'élève à 23 000. Les combattants intégristes semblent avoir été muselés ; toutefois, les attentats contre les touristes n'ont pas réellement cessé.

Tout autre est la situation concernant les Frères musulmans, pour la plupart de riches bourgeois de retour d'exil dans le Golfe, influencés par le conservatisme saoudien et appuyés par les oulémas de l'université al-Azhar du Caire. À l'inverse des militants armés, dont ils restent proches idéologiquement, ils condamnent la violence, ce qui leur vaut d'abord l'indulgence, voire les faveurs, du gouvernement, qui voit en eux les garants d'un statu quo précieux. Mais, entre-temps, ils poursuivent aussi leur action souterraine de réislamisation par le bas. Pire, ils ne cachent par leur compassion pour les militants traqués par la puissante machine militaire de l'État. Aussi le pouvoir, changeant de tactique, les considère-t-il désormais comme une menace à circonscrire. Cette fois, la bataille est plus délicate. Il n'est plus question de remplir les prisons ; c'est l'intelligentsia laïque que l'État met en avant, l'offensive se faisant surtout par le biais des médias, du cinéma et de la télévision. La riposte des islamistes se manifeste en octobre avec l'attentat perpétré contre le grand écrivain Naguib Mafhouz, prix Nobel de littérature.

Dans ce bras de fer, l'État dispose d'atouts importants : un État puissant, à la différence par exemple de l'Algérie ; une situation financière meilleure que jamais ; et le soutien d'une population qu'il lui incombe de conserver en répondant aux nouveaux besoins socio-économiques du pays.

Myriam Bahout

Liban

Malgré l'accord de Taëf (1989) et le traité de Damas (1991), qui ont mis fin à la guerre civile et ont imposé la tutelle syrienne sur le pays, le Liban éprouve d'immenses difficultés à restaurer un climat politique stable et à remettre en marche une économie saignée à blanc par deux décennies de conflit. Les relations tumultueuses entre la communauté chrétienne et le gouvernement sont au cœur du problème libanais : d'abord parce qu'elles exaspèrent une vie politique rendue étouffante par la présence syrienne et ensuite parce qu'elles entravent le redémarrage économique du Liban, lequel dépend pour partie des dollars détenus à l'étranger par les émigrés chrétiens.

En dépit de l'apaisement des tensions au Sud-Liban entre le Hezbollah et l'Armée du Liban-Sud (chrétienne) depuis décembre 1993, le climat politique libanais s'est considérablement alourdi tout au long de l'année 1994. Le 27 février, un attentat non revendiqué contre l'église maronite de Zouk Mikail fait 10 morts et 60 blessés. Le gouvernement de Rafic Hariri finit par rejeter la responsabilité de l'attentat sur d'anciens militants chrétiens et en profite pour arrêter Samir Geagea, leader des Forces libanaises, parti chrétien dissous. Soumise à de nombreux contrôles et arrestations, prostrée par l'annulation de la visite du pape, la communauté chrétienne est de plus en plus heurtée par la politique du gouvernement. Ce dernier, déjà accusé par l'opposition d'autoritarisme et de népotisme, profite une nouvelle fois du contexte d'insécurité pour restreindre encore la liberté d'expression en interdisant certains journaux et l'organisation d'émissions politiques par les radios et les chaînes de télévision.