Journal de l'année Édition 1995 1995Éd. 1995

De langage, de touche et d'atmosphère impressionnistes, il est directement question dans l'exposition Gustave Caillebotte présentée au Grand Palais à l'occasion du centenaire de la mort de l'artiste-collectionneur. L'œuvre de celui à qui l'on doit notamment l'entrée du Balcon de Manet dans les collections publiques restait largement occultée ou sous-estimée en France. On retrouve les Raboteurs (1875) et la fameuse Rue de Paris, Temps de pluie : on découvre bien d'autres œuvres peu connues où le traitement des perspectives plongeantes, des contre-jours contrastés, des sujets étonnamment désertés ou des points de fuite clôturés impose une œuvre singulière dont la modernité, en marge de l'impressionnisme orthodoxe, apparaît aujourd'hui plus clairement qu'à sa propre époque.

C'est au musée des Beaux-Arts de Rouen que l'impressionnisme le plus pur est en fait présenté au public. Le musée a en effet décidé de fêter l'ouverture des nouvelles salles (64 salles rénovées) par la réunion, dans la cour intérieure dévolue aux expositions temporaires, de 17 toiles de la série des Cathédrales de Rouen produites par Monet entre 1892 et 1894. Monet, en peignant le motif à diverses heures de la journée, cherche à rendre sur la toile les effets de la lumière sur l'objet. Le dessin est ici complètement subordonné à l'évanescence dissolvante de la lumière ; le motif devient prétexte pour l'analyse plastique d'un sujet traité en série.

Retenant lui aussi un thème propre à la lumière et ses couleurs, l'Institut du monde arabe présente une exposition-événement sur le voyage d'Eugène Delacroix au Maroc (1832). À partir des très nombreux croquis rapportés de ce voyage d'étude, l'exposition retrace l'influence orientaliste sur l'ensemble du travail de Delacroix. On retrouve le Sultan au Maroc (1845), mais aussi de nombreuses œuvres moins connues qui tentent de montrer combien ce voyage d'Orient a non seulement renouvelé le champ iconographique de l'artiste mais aussi contribué à apaiser les tourments de sa facture romantique.

Le Centre Pompidou

Au registre des expositions plus contemporaines, le choix monographique a été mieux assumé que l'ambition des vastes thèmes. La programmation annuelle du Centre Pompidou en est le probant témoignage. Alors que les rétrospectives de Joseph Beuys et Kurt Schwitters réussissent à présenter intelligemment deux œuvres singulières, l'exposition Ville, art et architecture en Europe, 1870-1993 se solde par un échec unanimement reconnu, qui gêne le Centre, en plein projet de restructuration, dans sa volonté de poursuivre brillamment le cycle des grandes expositions amorcé par Pontus Hulten.

L'exposition Beuys, mise en place par Harald Szeemann pour le Kunsthaus de Zurich, réussit à rendre compte d'un travail plutôt ésotérique. Sans recourir à une inutile présentation chronologique de ses œuvres, le commissaire suisse a choisi pour fil conducteur une série de dessins réalisés entre 1945 et 1976 (The secret for a secret person in Ireland). Autour de cet axe est réuni tout un ensemble d'installations et de vitrines, vestiges des nombreuses performances de celui qui fondait son art sur le concept politique de « sculpture sociale ». On se demande alors si ce rôle presque christique de Beuys pourra authentiquement se perpétuer au-delà des gens qui l'ont réellement côtoyé et de l'idée désormais historique d'un art élargi aux dimensions du corps social.

Le caractère plus plastique des œuvres de Kurt Schwitters ne provoque pas les mêmes obstacles de réception, malgré l'utilisation de matériaux de récupération qui mettent à mal la conception classique de la sculpture. Kurt Schwitters, figure singulière des avant-gardes historiques présentée ici par Serge Lemoine, apparaît comme le précurseur de nombreuses démarches artistiques de l'après-guerre qui trouvent dans les rebuts et les déchets de la société de consommation les matériaux de base d'une sculpture jouant sur divers registres d'images, de formes et de plasticité.

Pascal Rousseau