Journal de l'année Édition 1995 1995Éd. 1995

Rock : le retour des dinosaures

Les quadras et quinquagénaires peuvent se sentir dans le coup. Les Rolling Stones reprennent la route et font la « une » du Figaro, alors que Pink Floyd occupe celle du Monde. Neil Young (Sleeps with Angels, reprise) et Eric Clapton (From the Cradle, reprise) enregistrent deux magnifiques albums au moment où le groupe révélation de l'année. Oasis, originaire de Manchester, se réclame d'Aftermath, chef-d'œuvre stonien gravé en... 1966. Aux États-Unis, où la musique country, revitalisée en new hot country, revient en force, on a célébré le 20e anniversaire de Woodstock. Et le 30 novembre, la sortie de deux CD Live at the BBC des Beatles (avec 56 enregistrements inédits) mobilise tous les médias...

Vieilles pierres

Précédée de Woodoo Lounge (Virgin), leur 22e disque, un album plutôt costaud empruntant aux meilleures recettes du groupe (ballades cristallines, rock nerveux et agressif), la tournée des Rolling Stones a débuté le 1er août au Robert F. Kennedy Stadium de Washington. Sur scène, du groupe original, ne restaient que Mick Jagger (51 ans), Keith Richards (idem) et l'imperturbable batteur Charlie Watts (53 ans). Bill Wyman a été remplacé par Darryl Jones, bassiste noir américain découvert par Miles Davis alors que Ron Wood (guitare rythmique) a rejoint les Stones voici une douzaine d'années. La tournée américaine, qui comprenait 60 concerts géants dans 43 villes des États-Unis et du Canada, a connu, comme souvent, des débuts difficiles. Un répertoire trop hétérogène, une mise en place approximative valurent au groupe des premières critiques souvent assassines. On pourra en juger cet été lorsque les Stones débarqueront en Europe. Entièrement pilotée par ordinateurs, impeccable (et pour cause), la machine à tubes et à dollars Pink Floyd a, elle, parcouru le Vieux Continent durant l'année avec une halte de deux jours dans le parc du château de Chantilly. Beau comme une vidéo. Mais va-t-on au concert pour s'y sentir comme à la maison ?

Nostalgie

À la maison, quelques-uns des 300 000 spectateurs qui ont participé pendant le week-end du 15 août au 25e anniversaire du festival de Woodstock auraient peut-être préféré y rester. Organisé à Saugerties (État de New York), soit à 80 kilomètres du site historique, ce concert géant réunissait Joe Cocker, Crosby, Stills and Nash, Carlos Santana (tous déjà présents en 1969), The Band, Bob Dylan, Peter Gabriel, The Allman Brothers, Steve Winwood, Aerosmith et de jeunes artistes dont Nine Inch Nails, Salt'n'Peppa, Metallica, Green Day, Spin Doctors ou Red Hot Chili Peppers. Si la pluie, la boue et de gigantesques embouteillages furent au rendez-vous de la tradition, il n'y soufflait nul vent de contestation. Tandis que le premier festival avait rapporté 1 million de dollars, celui-ci devrait en laisser 40 aux organisateurs avec les droits TV et la commercialisation des CD et vidéos. L'histoire ne saurait cependant se contenter de repasser les plats.

Aux États-Unis, la musique country s'offre une cure de jeunesse avec pour leader Garth Brooks, qui a su revitaliser cette musique traditionnelle en lui insufflant l'énergie du rock, les harmonies du gospel et la puissance du rhythm and blues, sans pour autant renier les racines rurales du genre. Un véritable phénomène mesuré par 40 millions d'albums, dont In Pieces (Liberty). Derrière lui, les noms fleurissent, de Colin Raye à Travis Tritt, de Wyona Judd à Brooks and Dunn.

Dans le domaine du rock, rien de vraiment nouveau sous le soleil. En se suicidant à 27 ans d'une balle dans la tête, Kurt Cobain, le leader du groupe grunge Nirvana, est resté, lui aussi, fidèle à une tradition, celle du rocker rebelle qui ne veut pas atteindre la trentaine. Il voulait appeler son prochain disque I hate myself and I wanna die. Ses producteurs l'en ont dissuadé, mais lui a appliqué le programme. Par ailleurs, l'Angleterre et la France se sont enflammées pour Oasis, cinq garçons de Manchester qui savent manier un rock nostalgique et une attitude rebelle. La qualité de leur premier album, Definitively Maybye (Création/Squatt), a été confirmée par d'excellentes prestations scéniques. Sur un autre registre, Jeff Buckley, le fils du héros mythique du folk-acid jazz Tim Buckley, décédé depuis 20 ans, a fait une apparition remarquée sur la scène internationale.

Michel Embareck