Journal de l'année Édition 1995 1995Éd. 1995

Police : les deux chantiers de Charles Pasqua

Alors que les policiers avaient affiché leur déception après le retour de Charles Pasqua place Beauvau, l'accusant de privilégier l'Aménagement du territoire au détriment de l'Intérieur, le ministre d'État a présenté, en juillet, au Sénat, puis à l'Assemblée nationale, en octobre, un « projet de loi d'orientation et de programmation relatif à la sécurité ».

Un projet ambitieux

« Inventer la police de demain face aux progrès de la violence, du vandalisme, à l'apparition des rivalités ethniques sur le sol national, et à la pression croissante du trafic de drogue dans une société qui aspire à davantage de libertés individuelles », telle était l'idée maîtresse de Charles Pasqua. Pour ce faire, 7 milliards seront consacrés sur 5 ans aux équipements et matériels, 1,9 milliard à la création de 5 000 postes d'agents administratifs et techniques, et 1,15 milliard à des mesures sociales, telle la création d'une prime spéciale accordée à 35 000 policiers « en poste dans des zones urbaines difficiles ». D'une façon générale, le ministre souhaite que ses hommes abandonnent une série de tâches administratives accaparantes pour redevenir « une police de proximité ».

Le projet Pasqua comporte également un aspect sécuritaire vivement dénoncé par la gauche. Il prescrit la fouille des véhicules durant les 24 heures précédant les manifestations « à risques » et jusqu'à leur dispersion dans un périmètre défini par le préfet, selon les circonstances. Les personnes « coupables de violence » pourront être interdites de manifestation durant 3 ans. Cette mesure a certainement été inspirée par les très violents affrontements entre marins pêcheurs et forces de l'ordre à Rennes, le 4 février. L'autre grande innovation, relative à la vidéosurveillance, a donné lieu à d'âpres débats, provoquant même une intervention du président de la République, qui a souhaité la conformité de cette mesure avec les recommandations de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). La vidéosurveillance devrait donc être autorisée sur la voie publique, sur autorisation du préfet et après consultation d'une commission départementale spécialisée, pour assurer la protection des bâtiments publics, la régulation du trafic routier et la surveillance des lieux particulièrement exposés à des risques d'agression et de vol. En règle générale, les enregistrements seront détruits dans un délai maximal de 6 mois. Le projet renforce également l'autorité des préfets, qui deviendront les maîtres d'oeuvre d'un plan local de prévention et de lutte contre la délinquance. Enfin, le texte encourage les particuliers à faire appel à des sociétés privées de gardiennage.

Renseignements généraux : une réforme limitée

Révélée par le Canard enchaîné au cœur de l'été, l'affaire d'espionnage du conseil national du Parti socialiste, le 19 juin, à La Villette, par un fonctionnaire des Renseignements généraux, a entraîné, outre une vive polémique, une réorganisation de cette institution. Cette écoute « fortuite » s'est tout d'abord traduite par le limogeage de Claude Bardon, directeur des RG de la préfecture de police, et de Bertrand Michelin, chef de section chargé des partis politiques. Après avoir envisagé une refonte totale du service, Charles Pasqua a opté pour une réforme limitée. Les RG ne seront plus chargés du suivi des partis politiques (réunions internes) mais assisteront toujours aux réunions électorales, celles des conseils généraux et municipaux. Les sondages politiques effectués par l'OCSS (organisme maison) ne seront plus effectués « que sur ordre du ministre », les tâches de cet organisme étant réorientées vers des « analyses d'opinion ». L'abandon du suivi des partis permettra de renforcer des secteurs plus spécifiquement policiers comme la section « villes et banlieues » ou « groupes et minorités à risque », dont la priorité du moment est l'islamisme intégriste. En tout état de cause, Charles Pasqua ne s'est pas résolu à supprimer l'exception française des RG.

Michel Embareck
Journaliste à la Nouvelle République du Centre-Ouest