La Communauté des États indépendants fondée le 14 décembre 1991 semblait de prime abord condamnée à une brève existence. La Russie, par sa dimension, par son statut affirmé d'État continuateur de l'URSS, effraie ses voisins, qui lui demandent tout à la fois de pratiquer une non-ingérence systématique dans leurs affaires et d'apaiser les conflits locaux. En janvier 1993, pourtant, la CEI connaît un progrès : signature par sept États de sa charte et création d'une banque commune. Le 17 mars 1993, Boris Eltsine développe devant ses collègues de la CEI une doctrine de projet commun : création d'un système de sécurité collective, coordination de la politique extérieure, formation d'un grand espace économique commun. Au sommet de la CEI tenu à Moscou le 14 mai 1993, 10 des 11 membres de la Communauté (le Turkménistan faisant exception) ont signé une déclaration d'intention sur l'intégration économique. Certes, ce texte est imprécis et suggère avant tout que les États signataires s'intéressent à l'importation de produits énergétiques russes hors taxes, ainsi qu'à la solution des difficiles problèmes de paiement. De ce texte à la création d'un espace économique la distance est grande, et son importance est ailleurs ; avant tout, dans la volonté exprimée par l'Ukraine de participer à de telles entreprises. Si l'on songe qu'un an auparavant l'Ukraine définissait la CEI comme un cadre de divorce et s'attachait à marquer sa différence notamment en matière monétaire, on mesure le changement survenu. Ce changement est lié à l'effondrement économique de l'Ukraine dont l'inflation a été en 1993 de 10 000 %, et dont le produit national brut est tombé de 15 %. Totalement dépendante des livraisons russes d'énergie, l'économie ukrainienne conserve en 1993 pour activités principales la construction d'églises et de datchas de luxe pour la classe dirigeante. On comprend, dans ces conditions, que la population de la République pousse à la réconciliation avec les anciens partenaires de l'URSS. Après l'Ukraine, deux autres républiques récalcitrantes ont rejoint la CEI. L'Azerbaïdjan lui reprochait de ne pas soutenir sa cause face à l'Arménie et avait refusé de ratifier la charte commune, mais, menacée d'éclatement sous la pression des défaites militaires, cette République, où le pouvoir avait été repris par un des hauts responsables de l'URSS, Geidar Aliev, a cherché dans le compromis avec la CEI la possibilité d'échapper à la désintégration. Enfin, la Géorgie, en proie à la guerre civile et à la pression conjuguée des Abkhazes et des unités russes du Caucase, s'est résolue à l'automne 1993 à rejoindre à son tour la Communauté. Ce faisant, Édouard Chevardnadze avait obtenu de Boris Eltsine la fin de l'ingérence militaire russe et une médiation entre Abkhazes et Géorgiens. Pour autant le problème du pouvoir en Géorgie est loin d'être réglé. Mais la CEI rassemble désormais tous les anciens États de l'URSS, exception faite des trois États baltes. Et la nécessité de contrôler en Asie centrale la guerre meurtrière du Tadjikistan (plus de 80 000 morts), d'éviter qu'elle ne déstabilise à terme les États peuplés de Tadjiks – l'Ouzbékistan en premier lieu – a conduit les Républiques musulmanes à reconnaître tout à la fois l'importance de la CEI comme cadre de régulation des conflits et le rôle de la Russie comme arbitre, voire garant militaire de l'ordre et de la sécurité.

Ainsi la fin de l'année 1993 peut-elle être résumée, à la différence de la fin de l'année précédente, par quelques traits sinon positifs, du moins plus prometteurs que ceux du passé récent : une Russie sortie de l'impasse politique, même si la vie politique s'annonce complexe ; des résultats économiques dans certains domaines que la recomposition de l'État devrait permettre de développer ; une position plus assurée au sein d'une CEI qui a survécu et constaté la nécessité de se renforcer.

Hélène Carrère D'Encausse
de l'Académie française