À son arrivée, le 21 avril dernier, à La Baule, Bruno fut escorté dans les derniers milles de son périple par son frère Loïck à la barre de son « Fujicolor », et par Stéphane et ses sœurs, Agnès et Catherine, sur un hors-bord. Sur le quai, au milieu de la foule, Françoise Peyron pouvait songer à ajouter une branche de plus à un arbre généalogique qui s'apparente de plus en plus à une encyclopédie des exploits maritimes. (Sans être des professionnelles, les sœurs jumelles, Agnès et Catherine, ont tout de même pris part à la Transat en double en 1989.)

Prost, le dernier maillon

Le drapeau à damier était déjà loin. Ce 7 novembre, pour la dernière fois de sa carrière, Alain Prost est descendu de son baquet. Force de l'habitude, il a rapidement inspecté sa Williams-Renault promise l'an prochain à son grand rival Ayrton Senna. Son quatrième titre mondial dans la poche, il a salué le public. À quelques mètres de lui, Senna savourait sa victoire. En remportant avec brio ce Grand Prix d'Australie, le Brésilien privait son ennemi intime d'une sortie triomphale.

Dix minutes plus tard, sur le podium du dernier Grand Prix de la saison, Senna tendit la main à Prost et le fit monter à ses côtés sur la plus haute marche. L'accolade fut brève mais éloquente. Après dix ans d'un impitoyable combat, de conflits, de sous-entendus perfides, de haine parfois, cette réconciliation avait valeur de symbole. Il avait fallu que l'un des deux renonce à piloter pour que celle-ci soit possible. Une dernière fois, la vie de la Formule 1 vivait au rythme du duo Prost/Senna.

On a souvent opposé le « professeur » Prost à « l'extraterrestre » Senna. Les deux hommes ne viennent pas du même monde. Prost est un self-made-man. Originaire de Saint-Chamond, fils d'un modeste employé, il est sorti du rang à force de volonté et de passion. Senna est issu de la grande bourgeoisie brésilienne : une enfance dorée, une image d'aristocrate des circuits, une personnalité mystérieuse, un brin mystique. Les exégètes de la F1 ont longtemps attribué à Prost la rigueur, le génie de la mise au point, du pilotage millimétré, le sang-froid. À Senna, la fougue, l'audace, le goût du risque, l'instinct. Ce contraste s'est peu à peu estompé. Comme si le caractère de l'un avait déteint sur l'autre. Et vice versa. Pendant leurs deux années de cohabitation chez McLaren (88 et 89), on voit Prost plus agressif. Au contact du Français, Senna gère mieux ses courses, apprend à préserver sa mécanique. Cette rivalité exacerbe les passions mais contribue grandement au rayonnement de la F1. Ces deux pilotes d'exception se sont partagé la ferveur des passionnés et ont accumulé les titres. Prost est sacré champion du monde en 86, 87 et 89. Senna en 88, 90 et 91.

Après une année 91 décevante au sein de l'écurie Ferrari, Prost prend une année sabbatique. Revenu sur les circuits en mars 93 au volant d'une Williams-Renault, la meilleure F1 du moment, le Français a prouvé tout au long de la saison qu'il n'avait rien perdu de son coup de volant et de sa science de la course.

Prost remporte sept Grands Prix, portant son total de victoires à 51, record absolu. Seul Senna, 41 victoires à ce jour, est en mesure de le dépasser dans un proche avenir. Et il enlève son quatrième titre mondial, ce qui en fait le dauphin de l'Argentin Manuel Fangio, sacré à cinq reprises. Mais cette saison fut aussi l'une des plus éprouvantes de la carrière du pilote français. Critiqué par la presse après ses défaites au Brésil et à Donington, il ne fut pas non plus épargné par la Fédération internationale. Pénalisé pour deux faux départs bien peu évidents à Monaco et en Allemagne, Prost se vit même menacé de ne pas obtenir en début de saison la superlicence indispensable aux pilotes de F1.

À deux jours du Grand Prix du Portugal qui devait lui assurer son titre de champion du monde, Prost annonçait qu'il arrêtait à l'âge de 38 ans la compétition : « Après cette saison très éprouvante et treize ans au plus haut niveau, j'aspire au repos. Je ne me suis jamais blessé. Je sors entier », déclarait-il avec une pointe de rancœur et beaucoup de soulagement.

Avec la retraite de Prost, c'est un chapitre de l'histoire de la Formule 1 qui se clôt et une époque du sport national qui s'achève. Prost était le dernier maillon d'une génération exceptionnelle de champions, celle des Platini. Hinault, Blanco, Noah, qui a apporté au sport français ses plus belles années.