Journal de l'année Édition 1994 1994Éd. 1994

Architecture

Terreur. Paradoxalement, l'événement le plus marquant de cette année en architecture aura été la violence froide avec laquelle des terroristes (dont on ignore encore l'identité et les motivations, même si les soupçons se portent sur la Mafia) se sont attaqués à ces joyaux du patrimoine italien que sont le musée des Offices, à Florence, et la magnifique église de Saint-Jean-de-Latran, construite au xviie siècle à Rome par Borromi. La « nouveauté » de cette terrible fureur réside dans la nature même des objectifs visés : des lieux d'art et de culte. Les terroristes se sont sciemment attaqués à ce qui fait lien entre les individus, la foi et l'universalité sacrée des œuvres d'art. Ainsi, dans leur rage de détruire, les artificiers iconoclastes (au sens premier du mot) auront fait « avancer » l'horreur de quelques pas.

En France, la chronique aura été marquée par l'achèvement de plusieurs belles réalisations, comme le centre culturel de Mulhouse (Claude Vasconi), le centre des Archives du monde du travail à Roubaix (installé par Alain Sarfati dans l'ancienne usine Motte-Bossut aux allures de château fort), le musée Matisse à Nice (François Bodin). En mai, on inaugurait à Nîmes le Carré d'Art de Norman Foster, tout en verre et en métal, dans l'axe de la Maison carrée. La proximité de ce chef-d'œuvre gallo-romain a poussé l'architecte américain à une forme de discrétion et de retenue ; la façade du Carré d'Art est ainsi composée d'un auvent de lamelles métalliques, supporté par cinq colonnes élancées, faisant du bâtiment un lieu de passage transparent et très aéré.

Toujours en mai s'achevait la rénovation de l'Opéra de Lyon, un bâtiment datant de 1831 faisant face à l'hôtel de ville signé Mansart. Jean Nouvel et Emmanuel Cattini, qui avaient été chargés de l'opération en 1985, ont nettement dépassé l'objet de la commande initiale ; ils ont ainsi vidé tout l'espace intérieur pour ne conserver que les quatre façades classées. Le volume utile a triplé ; la hauteur des façades a doublé grâce à la construction d'une voûte en plein cintre de verre et d'acier. Le plafond de la salle (1 300 places) a été couvert de plaques dorées où scintillent 1 300 bougies de fibre optique éclairant chacune un spectateur. La climatisation est assurée par un système original de 8 000 brise-soleil en lames de verre peintes, installés à environ 1 mètre de la verrière, protégeant autant de l'éblouissement que de la surchauffe. La nuit, au moment des spectacles, des balises disposées à chaque point d'assemblage de la structure font rougeoyer la voûte, selon un programme imaginé par Yann Kersalé.

Marasme. Toutes ces belles réalisations ne font pas oublier cependant que la profession baigne dans l'incertitude. Presque tous les grands projets ont été achevés, et peu de nouvelles grandes constructions se décident. L'ère des concours multiples (au niveau de l'État comme à celui des collectivités locales) semble révolue : la crise économique explique largement la situation ; les limites d'une certaine procédure aussi, comme l'a montré à sa manière Eric Rohmer dans son film prémonitoire du début de l'année, l'Arbre, le Maire et la Médiathèque. La multiplication des appels d'offre rendait parfois ceux-ci peu adaptés aux besoins réels et ruinait les jeunes agences d'architectes, qui s'épuisaient dans des concours trop nombreux (un concours perdu coûte en moyenne entre 200 000 et 400 000 francs).

Grand Stade. En marge du chantier de la Bibliothèque de France, dont l'achèvement a été confirmé par le nouveau ministre de la Culture Jacques Toubon, la grande affaire a été celle du Grand Stade. À l'automne, Édouard Balladur a fait connaître son choix : le site retenu est finalement celui de la Plaine-Saint-Denis, dans la proche banlieue nord de Paris. Ce stade de 80 000 places est indispensable pour permettre à la France d'accueillir la Coupe du monde de football en 1998. Toutefois, au-delà des péripéties d'attribution du site (Saint-Denis a été préféré à Melun-Sénart, à Nanterre et à Marne-la-Vallée), le projet a d'abord suscité de très difficiles négociations entre l'État et la commune de Saint-Denis. L'implantation de cet immense équipement collectif est prévue dans le cadre d'une zone d'aménagement concertée (ZAC). L'État s'engage, pour sa part, à couvrir l'autoroute A1, à aménager la RN1 en surface, à achever la ligne 13 du métro, à rénover les gares et à développer le tramway. Mais, pour les équipes d'architectes, d'urbanistes, de paysagistes qui travaillent sur cette zone plutôt sinistrée, l'opération « Grand Stade » constitue d'abord une occasion de revaloriser cette banlieue typique de la désindustrialisation en cours et de l'exclusion des processus de requalification. C'est pourquoi les professionnels et les élus, en s'appuyant sur des expériences étrangères, ont posé des conditions strictes et précises : limitation des emplacements de parking ; développement prioritaire d'un système de transports en commun ; densification des constructions aux alentours du stade.