Journal de l'année Édition 1994 1994Éd. 1994

Les classiques ont toujours la cote, en province comme à Paris, dans le privé comme dans le secteur public. Jean-Pierre Vincent a poursuivi tendrement son cycle Musset avec On ne badine pas avec l'amour et Il ne faut jurer de rien, et il est revenu, vingt ans après, au Woyzeck de Büchner. Jacques Lassalle a fait l'ouverture du Festival d'Avignon avec un passionnant Dom Juan, repris de manière splendide salle Richelieu, à la Comédie-Française, où l'on vit aussi dans l'année l'étonnant Faiseur de Balzac. Au Marigny, Francis Huster a séduit avec un montage consacré à Diderot, Suite royale, avant de reprendre, pour une longue tournée qui s'est terminée à la fin de l'année, le Cid de Corneille dans une nouvelle mise en scène. Mais, sans doute, le plus joli des classiques restera dans nos mémoires ce Urfaust, présenté par Dominique Pitoiset, ce premier Faust du jeune Goethe, merveille de grâce et de mélancolie.

Si de Lille (Daniel Mesguich) à Marseille (Maréchal), en passant par Saint-Étienne (Benoin), la création demeure partout vivante, et l'idée de service public, toujours présente au théâtre, il suffit parfois d'un homme, d'une femme pour refaire le monde. Et l'on ne peut oublier, en se remémorant cette année 93, un Laurent Terzieff jouant deux rôles dans Temps et contre temps de Ronald Harwood, un Philippe Caubère allant au bout de son roman théâtral en un époustouflant marathon dans la nuit d'Avignon, un Gérard Desarthe donnant toute sa puissance à une pièce étonnante de Pirandello, la Volupté de l'honneur, un Jacques Mauclair défendant bec et ongles son Petit Théâtre du Marais et nous découvrant une délicieuse comédie d'Edouardo de Filippo, Antonio Barracano. À noter l'émergence d'un nouveau talent, jeune mais qui déjà fait penser dans sa précocité et sa force à Chéreau : Stanislas Nordey, en résidence à Saint-Denis, qui a présenté Calderon de Pier Paolo Pasolini et la Conquête du pôle Sud au théâtre Gérard-Philipe.

Arrivées et départs : les grands chambardements

Tandis que Alain Van der Malière quitte la direction des théâtres au ministère de la Culture, Jacques Baillon, directeur du théâtre Essaion et du Gymnase, à Marseille, le remplace.

Le mandat de Jacques Lassalle, qui fixait son statut d'administrateur de la Comédie-Française jusqu'au 4 juillet 1993, n'est pas renouvelé. Jean-Pierre Miquel, ancien directeur du Conservatoire national d'art dramatique, est nommé à sa place à compter du 1er août, pour une durée de trois ans. Jacques Toubon avait proposé à Lassalle de prolonger son contrat d'un an avant de laisser son tour à Jean-Pierre Miquel, sans le confirmer pour trois nouvelles années à cet emploi, mais Jacques Lasalle a préféré refuser cette nouvelle échéance.

Marcel Maréchal quitte la Criée et reprend la direction du théâtre du Rond-Point ; il entrera en fonctions le 1 juillet 1994, à la suite de Chérif Khaznadar, nommé à ce poste deux ans auparavant. De son côte, Gildas Bourdet s'installe à la direction du Théâtre national de Marseille.

Jean-Pierre Miquel annonce la fermeture pour grands travaux de la Comédie-Française : la prestigieuse troupe ira s'installer au théâtre Mogador, le temps qu'on redonne une jeunesse au cintre qui n'en peut plus et qui menace de s'effondrer sur la tête des sociétaires. Il faut également revoir le règlement intérieur, plus connu sous le nom de « statuts ». La grande maison restera close du 1er mai prochain au 1er janvier 1995.

Le Vieux-Colombier a rouvert ses portes le 7 avril 1993.

Les Molières

Le Molière de la révélation théâtrale de l'année 1993 a été décerné, et c'est une première, à une jeune comédienne sourde et muette, Emmanuelle Laborit, pour son interprétation dans les Enfants du silence, qui font salle comble au théâtre du Ranelagh depuis leur création, en 1992. La jeune femme y tient le rôle d'une mal-entendante, dans une école spécialisée, qui se bat pour vivre sa différence sans se plier aux exigences des bien-entendants ; une histoire d'amour également, où les liens entre la comédienne et le personnage sont nombreux, puisque, dans la vie, Emmanuelle Laborit milite pour promouvoir le théâtre en langage des signes.

Edwige Feuillère s'est vu consacrer également, en recevant cette récompense, en qualité cette fois-ci de meilleure actrice de l'année, pour sa prestation dans Edwige Feuillère, seule en scène, l'an passé. Presque un Molière d'honneur pour cette actrice ovationnée lors de la remise du prix, qui couronnait davantage l'ensemble de sa prodigieuse carrière que ce seul spectacle.

René de Obaldia, remis à la page par Emmanuel Dechartre au Théâtre-14 qui avait déjà programmé les Innocentines, reçoit lui aussi un Molière, mais d'honneur celui-là.

L'Album du Festival d'Avignon, 1993, le Monde éditions.

Marie-Pierre Mouillard