Sciences et techniques

Le 25 avril 1983, deux jeunes chercheurs du laboratoire Cavendish de Cambridge, en Angleterre, le biologiste américain James Watson et le physicien britannique Francis Crick, publiaient dans la revue scientifique Nature une courte note décrivant la structure en double hélice de la molécule d'acide désoxyribonucléique (ADN), qu'ils venaient de découvrir. « Cette structure possède des caractères nouveaux d'un intérêt biologique considérable », soulignaient les deux auteurs en préambule de leur article. La découverte de Watson et de Crick permettait, en fait, d'élucider le mécanisme de réplication du matériel génétique qui préside à la reproduction des êtres vivants ; elle ouvrait un vaste champ de recherches sur le patrimoine héréditaire et sa transmission. Quarante ans plus tard, elle apparaît bien comme une découverte biologique majeure du siècle. La biologie moléculaire et la génétique sont devenues des disciplines scientifiques de premier plan. Deux prix Nobel viennent, en 1993, consacrer l'importance de leurs avancées : celui de chimie, partagé entre l'Américain Kary B. Mullis, pour une technique biologique de multiplication de segments d'ADN, et le Canadien Michael Smith, pour ses travaux sur la mutagenèse dirigée ; et celui de médecine, attribué aux Américains Richard J. Roberts et Phillip A. Sharp pour leurs travaux sur la discontinuité structurelle des gènes.

Les promesses de la thérapie génique

Aujourd'hui, l'espoir naît des perspectives de guérison de nombreuses maladies par thérapie génique.

En avril, une équipe de médecins et de biologistes dirigée par le docteur Ron Crystal tente, aux États-Unis, la première expérience humaine de thérapie génique de la mucoviscidose. Cette affection congénitale se caractérise par un excès de viscosité de la sécrétion des glandes exocrines et provoque des troubles digestifs et respiratoires très graves. La méthode de traitement expérimentée consiste à utiliser un adénovirus humain comme vecteur pour transporter jusqu'aux poumons le gène dont l'absence est à l'origine de la maladie. Dans un premier temps, l'objectif est de vérifier l'innocuité de l'approche thérapeutique.

En octobre, une équipe de chercheurs français dirigée par les professeurs Axel Kahn, de l'INSERM, et Michel Perricaudet, de l'Institut Gustave-Roussy à Villejuif, publie dans la revue Nature Genetics un article montrant qu'il est possible de traiter par thérapie génique des souris atteintes de myopathie. Là encore, la technique utilisée fait appel à un adénovirus humain pour transporter dans différents organes, en particulier les muscles cardiaque et respiratoires, le gène apte à enrayer la maladie. Aussi préliminaires soient-ils, ces travaux revêtent une importance capitale : ils rendent enfin envisageable le traitement de la myopathie de Duchenne, l'une des plus fréquentes maladies neuromusculaires à transmission héréditaire, due à l'absence d'une protéine, la dystrophine, habituellement synthétisée dans les tissus musculaires.

Les dangers de la maîtrise du vivant

Les promesses encourageantes de la thérapie génique ne sauraient toutefois faire oublier les craintes que soulèvent les progrès rapides dans la maîtrise du vivant. En octobre, une équipe de biologistes américains de l'université George-Washington, dirigée par le docteur Jerry Hall, annonce avoir démontré la faisabilité du clonage d'embryons humains à partir d'une série d'expériences pratiquées sur 22 embryons porteurs d'anomalies génétiques graves. Pour ses auteurs, cette expérimentation s'inscrit dans le cadre de recherches visant à améliorer l'efficacité des traitements de la stérilité. Elle n'en marque pas moins un nouveau pas dans l'instrumentalisation des embryons humains. Aussi soulève-t-elle une vive controverse d'ordre éthique et vient-elle relancer de manière spectaculaire le débat sur la légitimité des recherches sur les embryons humains.

La lutte contre le sida

Dix ans après l'identification du virus du sida, la médecine reste toujours désarmée face à ce fléau dont l'épidémie ne cesse de s'étendre : près de 15 millions de personnes sont désormais contaminées dans le monde, et leur nombre s'accroît quotidiennement de plus de 4 000 ; l'Afrique, avec plus de 7 millions d'individus atteints, est de loin le continent le plus frappé. En dépit de la somme considérable de travaux menés dans les laboratoires, les mécanismes moléculaires qui permettent au virus d'infecter différentes cellules du système immunitaire humain demeurent encore en grande partie mystérieux. À la fin du mois d'octobre, une équipe de chercheurs de l'Institut Pasteur, dirigée par le professeur Ara Hovannessian, annonce cependant une découverte fondamentale. Depuis 1984, on connaissait une molécule, baptisée CD4, présente à la surface des cellules et indispensable pour que le virus puisse s'y accrocher. Par une série d'expériences, l'équipe du professeur Hovannessian a pu identifier un second récepteur, le CD26, dont l'action vient s'ajouter à celle du CD4 pour autoriser le virus à pénétrer dans les cellules. Cette découverte ouvre des perspectives nouvelles et encourageantes pour la mise au point de vaccins et d'agents thérapeutiques efficaces.

Greffe de poumons : de nouvelles premières

Les transplantations d'organes représentent l'une des avancées les plus remarquables de la chirurgie au cours des dernières décennies. Chaque année, de nouvelles expériences viennent élargir le champ des opérations pratiquées. En 1993, les projecteurs se braquent sur les greffes de poumons. Fin janvier, à l'hôpital universitaire de Los Angeles, une jeune fille atteinte de mucoviscidose reçoit un lobe pulmonaire de chacun de ses parents : c'est la première fois qu'une intervention de ce type met en œuvre deux donneurs vivants différents. En mai, à l'hôpital Broussais, à Paris, une équipe dirigée par le docteur Jean-Paul Couetil réussit pour la première fois au monde à greffer sur une malade un poumon préalablement coupé en deux pour constituer deux organes en état de marche. Cette nouvelle technique pourrait, dans l'avenir, permettre de sauver des enfants atteints de mucoviscidose, dans la mesure où, avec deux poumons d'adulte, il sera possible d'en faire quatre plus petits, et donc d'opérer deux enfants.

Science lourde : le temps des restrictions

De tout temps, les connaissances fondamentales ont avancé à la cadence des progrès de la technologie. L'une des caractéristiques de la science contemporaine est qu'elle exige des outils extrêmement complexes, qui requièrent des investissements très lourds. Chaque pays s'efforce de maintenir un subtil équilibre entre ses programmes nationaux de recherche et les programmes qu'il réalise en coopération avec d'autres États parce qu'il ne peut les financer seul. Les recherches portant sur l'observation de la Terre, la protection de l'environnement, l'étude du climat, la cartographie du génome humain sont désormais considérées comme prioritaires. Les restrictions budgétaires liées aux difficultés économiques du moment pèsent, en revanche, sur le financement des grands équipements réclamés en astrophysique ou en physique des particules. Tandis que l'on s'émeut, en Europe, de la dérive du coût du VLT (Very Large Telescope), le très grand télescope dont l'ESO (European Southern Observatory) a engagé la construction au Chili, la Chambre des représentants et le Sénat américains s'accordent, en octobre, pour mettre un terme à la construction, au Texas, d'un accélérateur de particules géant de 85 km de circonférence, le SSC (Superconducting Super Collider), dont le coût est estimé à plus de 10 milliards de dollars. Cette décision intervient alors que 2 milliards de dollars ont déjà été dépensés, que le quart du tunnel a été creusé et que 45 000 contrats ont été passés dans 48 États américains pour ce projet. Les spécialistes de la physique des particules reportent désormais tous leurs espoirs sur le projet de grand collisionneur du Cern, près de Genève, le LHC (Large Hadron Collider), conçu pour succéder vers l'an 2000 au LEP actuel, dont il utilisera l'infrastructure. C'est en 1994 que les États membres du Cern doivent décider d'entreprendre ou non la réalisation de cet instrument, nettement moins onéreux que son concurrent américain avec un coût évalué à 7,4 milliards de francs environ.