Journal de l'année Édition 1994 1994Éd. 1994

Les grandes orientations de cette politique sont tracées le 12 juillet à Mende, chef-lieu de la Lozère, choisie à dessein. Le gouvernement veut à la fois faire un « coup médiatique » puisqu'une quinzaine de ministres se déplacent (en avion, ce qui rend l'exercice quelque peu biaisé) une journée entière dans une ville et un département réputés difficiles d'accès, saignés par l'exode rural, et qui, en fin de compte, sont l'antithèse parfaite de la Région Île-de-France boulimique et des banlieues du mal-vivre.

Parmi les principales orientations décidées au Comité interministériel d'aménagement du territoire (CIAT) de Mende, on retiendra essentiellement :
– le rééquilibrage entre l'Île-de-France et les autres Régions : le gouvernement décide de revoir à la baisse les prévisions de croissance démographique et économique de la Région-capitale. Il s'agit aussi de réduire le nombre d'étudiants et le poids de la recherche. Enfin, il faudra réformer le système de financement des transports en commun pour rapprocher le régime francilien de celui des autres Régions. En effet, l'usager du métro parisien paye proportionnellement son ticket beaucoup moins cher que l'usager lyonnais ou marseillais.
Dans la procédure des contrats de plan État-Régions qui couvriront la période 1994-1998, une modulation des financements de l'État est décidée, qui tient compte de la richesse fiscale de chaque Région et de son taux de chômage. L'enveloppe globale des crédits d'État pour l'ensemble des Régions augmentera de 32 %, mais trois catégories de Régions sont distinguées : les plus en retard (Auvergne, Limousin, Lorraine, par exemple) voient leurs dotations progresser de 23,5 %, celles qui présentent encore des handicaps (Languedoc-Roussillon, Picardie...) bénéficient d'une hausse de 14 %, un troisième groupe de Régions (Alsace, Rhône-Alpes...) gardant une enveloppe constante. Quant à l'Île-de-France, sa dotation est réduite de 10 % par rapport à la période 1989-1993 pour bien montrer, concrètement, une volonté de solidarité interrégionale. En définitive, l'Île-de-France sera moins « pénalisée », car, au titre spécifique de la politique de la Ville, elle recevra une part importante des crédits d'État ;
– une série de mesures sont prises (mais leur application est reportée à 1994) pour le monde rural : il s'agit de réformer la tarification des télécommunications pour favoriser la création d'entreprises dans les campagnes. Une dotation pour les jeunes entrepreneurs ruraux, notamment les artisans, sera mise en place. Édouard Balladur annoncera en octobre sa décision de reconduire, au moins pour six mois, une mesure qu'il avait intégrée dans son discours de politique générale quelques jours après sa nomination à Matignon : la suspension de toute fermeture de services publics dans les zones rurales ;
– le programme de transfert hors de Paris de quelque 30 000 emplois publics à l'horizon 2 000 – un objectif affiché tour à tour par Michel Rocard et Edith Cresson – est confirmé par Édouard Balladur. Il s'agit, note le communiqué officiel, « d'une priorité gouvernementale ». Dans les modalités, en revanche, le gouvernement s'engage à pratiquer avec les personnels une concertation plus poussée qu'au cours des années passées. Pour inciter les agents publics à considérer leur (éventuel) déplacement en province autrement que comme une « déportation », des mesures fiscales et sociales non négligeables sont prévues ;
– un débat national sur l'aménagement du territoire est annoncé : le gouvernement veut (en consultant tous les Français – c'est-à-dire aussi bien les institutions représentatives politiques, professionnelles et syndicales que, dans chaque canton, le plus possible de citoyens de base) essayer de dessiner la France à l'horizon 2015. Pendant six mois, à partir du lancement officiel de l'opération le 15 octobre à Nantes, colloques, rendez-vous, rencontres, questionnaires, motions, rapports vont se multiplier dans le but de définir des lignes de force, des orientations, si possible quelques consensus. Charles Pasqua a voulu que ce débat soit « sans tabou ». Édouard Balladur lui-même a pris le collier en se déplaçant une journée entière dans plusieurs Régions. Ce long travail de préparation, technique et psychologique, doit déboucher en principe à la session parlementaire du printemps 1994 sur un projet de loi – cadre relatif à l'aménagement du territoire.

En déplacement à Poitiers le 23 octobre, Édouard Balladur a annoncé qu'il était favorable à la création d'un institut atlantique d'aménagement du territoire, avec l'aide de la DATAR. Il répondait à une sollicitation pressante de Jean-Pierre Raffarin, président de la Région Poitou-Charentes et promoteur de l'idée de façade et d'arc atlantiques.

C'est à Saint-Denis, en définitive, que sera construit le Grand Stade dans la perspective de la Coupe du monde de football de 1998. À part Saint-Denis, plusieurs sites étaient en compétition, à savoir Marne-la-Vallée et Melun-Sénart.

Pression fiscale

La fiscalité directe a connu en 1993 une progression fulgurante. Le produit voté des quatre taxes progresse de 7,7 %, avec la palme pour les Régions (+ 19,9 %).

La réforme de la dotation globale de fonctionnement (DGF) est lancée par le gouvernement au Conseil des ministres du 13 octobre. Il s'agit d'une réponse aux problèmes financiers que rencontrent les villes, et que le lobby puissant des maires des grandes villes est venu exposer au Premier ministre fin septembre. Cette réforme vise à rendre plus efficace et plus sélective une aide de l'État aux collectivités, surtout aux communes qui, chaque année, atteint environ 100 milliards de francs. Créée en 1979, réformée en 1985, la DGF n'a plus aujourd'hui la fonction de péréquation et de redistribution qui était la sienne à l'origine. De plus, le dispositif est devenu d'une complexité extrême. L'essentiel de la réforme gouvernementale consiste, tout en maintenant grosso modo une partie forfaitaire stable pour toutes les communes, à dégager une marge de manœuvre (près de 2 milliards en 1994) afin de soutenir plus fortement trois catégories de communes : les bourgs-centres en zones rurales, les communes urbaines, confrontées à des charges sociales élevées, et les collectivités d'outre-mer.

Prospective et Territoires. Il s'agit d'une série d'ouvrages de prospective lancée par la DATAR, qui sont le fruit de travaux conduits entre 1990 et 1993 par des universitaires et des chercheurs, sous la direction de Jean-Louis Guigou. Dernier ouvrage sorti : France 2015 : Recomposition du territoire national. Éditions de l'Aube. Le Château, 84240 La Tour-d'Aigues.

François Grosrichard
Grand reporter économique au Monde