Journal de l'année Édition 1993 1993Éd. 1993

Sur le plan national, la victoire du « oui » traduit un ébranlement profond de notre identité. Emmenée par un président socialiste, la France du « oui » s'inscrit paradoxalement dans la géographie de la droite la plus traditionnelle, celle du V hercynien, Alsace, Massif central, Bretagne, et des bastions cléricaux des Alpes et des Pyrénées, qui depuis deux siècles résiste en profondeur à l'acculturation républicaine. Le référendum de Maastricht est un séisme non seulement parce qu'il casse les deux grandes formations qui structurent le jeu républicain, Parti socialiste et RPR, mais plus essentiellement parce que, pour la première fois dans l'histoire de la République, il donne la victoire à une coalition régionaliste, ultramontaine et cléricale dressée contre des siècles de centralisation royale et jacobine. Le relatif échec de Philippe de Villiers et de sa croisade du « non » au cœur de la Vendée « catholique et royale » ne s'explique sans doute pas autrement. La présence de Paris dans le camp du « oui » ne doit pas faire illusion : le choix des Parisiens exprime ici la richesse et la sérénité d'une agglomération puissante et sûre d'elle-même bien davantage qu'une prétention jacobine à l'hégémonie nationale.

La parenté entre la carte du « non » du 20 septembre 1992 et celle du serment constitutionnel prononcé par les « prêtres jureurs », en janvier 1791, en dit long sur la signification profonde du référendum de Maastricht : c'est bien le système politique enfanté par la Révolution française qui est atteint dans sa triple dimension populaire, laïque et nationaliste.

Logique de l'alternance, logique de la recomposition : laquelle des deux l'emportera en 1993 ? En apparence, tout conduit à l'alternance, et en particulier le calendrier politique qui devrait voir la confrontation de la gauche et de la droite prendre le pas sur toute autre forme de clivage à la faveur de la bataille législative. Ainsi les désordres de Maastricht devraient-ils demeurer sans lendemain et les Français continuer, bon gré mal gré, de faire de la politique dans le cadre traditionnel d'un affrontement majoritaire classiquement bipolarisé.

Il faut toutefois compter avec deux éléments perturbateurs : la permanence du choix européen, qui ne s'est pas épuisé dans le débat sur Maastricht et continue de peser sur les grandes orientations économiques du pays – franc fort ou franc faible –, et les effets pervers de la cohabitation, qui donne au chef de l'État un paradoxal droit d'ingérence dans les affaires de ses adversaires. La combinaison d'un clivage interne à la droite autant qu'à la gauche (l'acceptation ou le refus de l'arrimage du franc au mark) et d'une capacité persistante de manipulation présidentielle suffit à faire peser sur les équilibres politiques de demain un peu plus que l'ombre d'un doute. 1993 se présente bien comme l'année de toutes les incertitudes.

Jean-Louis Bourlanges
Député européen (liste Simone Veil), auteur de Le diable est-il européen ?, Stock, 1992.