Journal de l'année Édition 1993 1993Éd. 1993

Canada

Deux ans après l'échec de l'accord du lac Meech (signé en 1987), qui reconnaissait au Québec le droit d'être une « société distincte », le système fédéral canadien n'en finit pas d'être en crise. La réforme des structures politiques est l'enjeu de multiples débats, et toutes les tentatives pour trouver un compromis satisfaisant ont jusqu'à présent échoué (depuis le début du siècle, il y en a eu neuf).

Par le référendum du 26 octobre 1992, les Canadiens rejettent majoritairement (à 54,4 % contre 44,6 % et 1 % de rejet, et 6 provinces sur 10) l'entente de Charlottetown, élaborée pendant l'été sous l'impulsion du Premier ministre Mulroney, par les représentants des provinces et des Amérindiens. Les conséquences de ce rejet sont d'importance : la question de la souveraineté québécoise demeure posée puisque plus de 55 % des Québécois ont voté contre (ce qu'il ne faut pourtant pas assimiler à un soutien aux options indépendantistes). Et, alors que les Québécois anglophones ont opté à 85 % pour le « oui », les francophones ont voté « non » à 65 %. estimant qu'ils n'obtenaient pas assez de pouvoirs pour poursuivre leur développement économique et culturel.

De plus, le projet d'« autonomie gouvernementale » des 700 000 Amérindiens reste en suspens. Il leur aurait permis d'élaborer leurs propres lois, à condition toutefois qu'elles soient compatibles avec les lois fédérales et provinciales. Ces nouveaux droits inquiétaient certaines provinces, notamment le Québec, qui les assimilait à une menace pour son intégrité et pour ses projets hydroélectriques dans le Grand Nord. Les chefs nationaux des Inuit et des métis ont cependant annoncé leur volonté de poursuivre les négociations.

Enfin, la réforme du sénat fédéral (prévue dans l'accord de Charlottetown) est elle aussi abandonnée : elle introduisait une représentation égalitaire des provinces, sauf dans les cas de l'Ontario et du Québec, qui aurait conservé au moins 25 % des sièges, quelle que soit son évolution démographique.

Ce refus du 26 octobre équivaut en fait à un rejet du Premier ministre fédéral, usé par huit ans de pouvoir et impuissant à sortir le pays de la crise économique qui sévit depuis 1990. Brian Mulroney l'a parfaitement compris : il promet, au lendemain du référendum, de porter désormais « toute son énergie sur l'économie ». Elle en a bien besoin : si l'inflation est modérée (autour de 2,4 % en 1992, après s'être maintenue entre 4 et 5 % dans les années 1980), la progression du PIB reste extrêmement limitée (moins de 1 % en 1992), et le chômage atteint des sommets inégalés (11,6 % de la population).

Ces difficultés économiques multiplient aussi les interrogations des Canadiens sur le bien-fondé de l'Alena, le traité de libre-échange signé en août avec les États-Unis et le Mexique. Plus que jamais, la question de l'identité canadienne demeure posée.

Les résultats du référendum

Le « non » se répartit ainsi : 68 % en Colombie-Britannique, 62 % dans le Manitoba, 60 % en Alberta, 55 % au Saskatchewan, 55 % au Québec, 51 % en Nouvelle-Écosse. 49 % dans l'Ontario, 38 % dans le Nouveau-Brunswick, 37 % à Terre-Neuve et 26 % dans l'île du Prince-Édouard.

Les principaux protagonistes du référendum

Brian Mulroney, Premier ministre du Canada, membre du parti conservateur au pouvoir depuis septembre 1984, et favorable à un « fédéralisme revivifié ». Robert Bourassa, Premier ministre du Québec depuis 1985, qui cherche à « bâtir le Québec au sein du Canada » (favorable au « oui »). Ovide Mercredi, avocat et Indien Cri du Manitoba, grand chef de l'Assemblée des premières nations (représentant quelque 500 000 Amérindiens), favorable au « oui ». Pierre-Elliott Trudeau, ancien Premier ministre du Canada pendant quinze ans, artisan acharné d'un État fédéral, fort opposé à l'entente de Charlottetown et défendant « un “non” qui ne sera pas séparatiste ». Jacques Parizeau, chef du Parti québécois (séparatiste), défenseur de la souveraineté d'un « Québec adulte » (favorable au « non »). Preston Manning, fondamentaliste et populiste, leader du Reform Party, qui bénéficie du poids grandissant de son parti dans l'ouest du pays (partisan du « non »).

Valérie Gendreau