Parallèlement, la Chine a, cette année, pour la première fois de son histoire, achevé la normalisation de ses liens diplomatiques avec l'ensemble de ses voisins. Les relations avec l'Indonésie, interrompues depuis les années 60, ont été rétablies ; Singapour et Brunei ont reconnu le régime chinois ; les dirigeants vietnamiens sont venus à Pékin (novembre 1991) enterrer la vieille haine datant de la guerre éclair de 1979, et le Premier ministre Li Peng s'est à son tour rendu à Hanoi début décembre pour tenter d'apaiser (sans grand succès au demeurant) la rivalité naissante entre les deux voisins sur l'occupation chinoise d'une partie de l'archipel des Spratly, en mer de Chine du Sud, également revendiqué par le Viêt Nam. Li Peng s'est aussi rendu en Inde pour développer la coopération avec cet autre géant asiatique et relancer les négociations concernant le différend frontalier. Le président de la République, Yang Shangkun, a été le premier chef d'État chinois jamais reçu en Mongolie ; les cinq Républiques d'Asie centrale ex-soviétique (Tadjikistan, Kirghizistan, Turkménistan, Ouzbékistan, Kazakhstan) ont toutes établi des relations diplomatiques avec la Chine, et les échanges de visites se multiplient ; enfin, le président russe Boris Eltsine, en se rendant à Pékin fin décembre, devait permettre la relance – très médiatisée – de la coopération entre Moscou et Pékin, notamment en matière de défense.

La Chine a parallèlement continué à développer ses échanges avec Hongkong et avec Taïwan, qui investissent énormément sur le continent chinois. Mais les relations entre Pékin et ces deux entités ont paradoxalement été à l'origine d'un intense bras de fer entre la Chine et trois pays occidentaux (États-Unis, France, Grande-Bretagne), qui risque à terme de déboucher sur un refroidissement des relations, voire sur une brouille avec les deux États européens, l'Amérique restant très ménagée. La tentative de démocratisation de Hongkong, souhaitée par le nouveau gouverneur Chris Patten avant la rétrocession de cette colonie britannique à la Chine en 1997, a provoqué, depuis le mois d'octobre, un échange de déclarations de plus en plus agressives entre Londres et Pékin, aucune des deux capitales ne voulant faire de concession. Les milieux d'affaires de Hongkong, largement infiltrés par la Chine, ont, quant à eux, fait savoir « qu'ils préféraient la stabilité », nécessaire pour cette importante place boursière, « ... à une hypothétique démocratisation »... Les relations entre la Chine et Taïwan sont, quant à elles, à l'origine du refroidissement des relations entre Pékin et Paris. La Chine, qui se considère officiellement toujours en guerre contre Taïwan, depuis que les nationalistes chinois se sont repliés dans l'île en 1949, menace de sanctionner durement toute puissance étrangère qui serait tentée de vendre des armes à son rival. Or, la société française Dassault signe avec Taibei, fin novembre, un contrat portant sur la vente de 60 avions de combat Mirage 2000-5 et de 1 500 missiles. Pékin annonce alors que plusieurs contrats prévus avec des sociétés françaises seront interrompus, et les mesures vexatoires à l'encontre des officiels ou du personnel diplomatique français présents en Chine se multiplient. Les États-Unis ont pourtant également signé au mois de novembre un contrat avec Taibei, portant sur la vente de 120 chasseurs F-16. Mais la Chine, qui ne tient pas à la détérioration de ses relations avec Washington, s'est contentée de vagues protestations. Ces deux pôles de tension avec la France et la Grande-Bretagne relativisent donc l'acquis diplomatique de la Chine en 1992. Celle-ci, grâce à l'accord sur le Cambodge et à sa « neutralité » pendant la guerre du Golfe, était parvenue à opérer un habile retour sur la scène occidentale et avait pu, au nom d'un complexe de « citadelle assiégée », justifier une prolifération des armements par ailleurs très inquiétante.

Blocage politique

1992 est également l'année du XIVe Congrès du parti communiste. Cette grand-messe (qui se perpétue tous les cinq ans depuis la fondation du PCC en 1921), en rassemblant à Pékin plus de 2 000 délégués, a été, cette année plus que toute autre, l'occasion d'un rituel. Le chant de l'Internationale, la faucille et le marteau sur fond de drapeau piqué d'étoiles dorées, le recours absolu au centralisme démocratique dans la pratique des votes sont autant de symboles d'un régime communiste. La forme a donc été respectée, vénérée. Mais le discours n'a plus rien de communiste. Ce XIVe Congrès a entériné le principe « d'économie de marché socialiste » prôné par Deng Xiaoping depuis le début de l'année, procédé au rajeunissement de 40 % des cadres du parti en évinçant la vieille garde conservatrice (suppression de la commission des conseillers, bastion de vieillards ultra-gauchistes) et nommé une nouvelle équipe dirigeante (les sept membres du Comité permanent du Bureau politique) censée assurer la transition. Les réformistes, à l'exemple de Zhu Rongji, ancien maire de Shanghai et étoile montante du régime, tiennent tous les postes clés. Rien ne bouge néanmoins au niveau de l'ouverture politique ou de l'amélioration de la situation des droits de l'homme. L'un des anciens dirigeants du mouvement démocratique de 1989, Shen Tong, 24 ans, exilé aux États-Unis, a tenté pendant l'été de rentrer en Chine, répondant à un appel de Deng Xiaoping lancé aux étudiants et intellectuels pour tenter d'enrayer la fuite des cerveaux : « Revenez quelles que soient vos opinions politiques »... Shen Tong, qui avait l'ambition de coordonner l'opposition en exil et les différents mouvements de la dissidence souterraine, a été arrêté à Pékin, puis expulsé neuf semaines plus tard vers les États-Unis, en raison d'une importante mobilisation internationale. Mais quatre Chinois arrêtés à la même occasion sont toujours emprisonnés. Pékin a par ailleurs convenu cette année de l'existence de 4 000 prisonniers politiques dans ses prisons, mais le chercheur Harry Wu, établi aux États-Unis et qui recense les camps de travail depuis plus de dix ans, estime, quant à lui, qu'il y a encore, en 1992, plus de 12 millions de Chinois détenus dans le Laogai, le goulag chinois...

Chrono. : 20/03, 21/07, 8/08, 24/08, 28/09, 18/10, 23/10, 17/12.

Jean-Luc Domenach, Chine, l'archipel oublié, Fayard, 1992.

Caroline Puel