Journal de l'année Édition 1993 1993Éd. 1993

Proche-Orient : les limites du dégel

L'euphorie née de la Conférence de Madrid (novembre 1991) n'a pas tardé à retomber. Les Syriens ont maintenu leur attitude intransigeante dans leurs négociations avec Israël. Le dialogue israélo-palestinien, qui semblait s'être engagé à Madrid sous de meilleurs auspices, a vite sombré dans des querelles de procédure quant au lieu des rencontres et à l'ordre du jour. Faute de s'entendre sur un autre lieu, c'est donc à Washington que se sont tenues les différentes sessions bilatérales entre Israël et ses adversaires arabes, soulignant ainsi le rôle crucial des Américains pour permettre au processus de paix de se poursuivre.

Négociations multilatérales

Les négociations multilatérales, qui devaient permettre d'évoquer les sujets transversaux (économie, environnement, armement, eau, réfugiés, etc.) ont aussi donné lieu à des blocages similaires. La Syrie refusait d'y prendre part faute d'un engagement préalable sur un retrait israélien du Golan. Les Israéliens, quant à eux, ont boycotté deux sessions multilatérales, notamment celle d'Ottawa consacrée aux réfugiés, où les délégués palestiniens entendaient évoquer l'épineux « droit au retour » rejeté par Israël. Motif de ce boycott : la présence dans la délégation palestinienne de membres du Conseil national palestinien (CNP), le « Parlement » de l'OLP.

Accueillie avec soulagement à Washington, la victoire des travaillistes aux élections législatives du 23 juin en Israël a immédiatement rendu vigueur à un processus moribond. L'ancien Premier ministre du Likoud Yitzhak Shamir, a posteriori, a conforté les appréhensions de l'administration Bush en confiant, dans une interview, qu'il n'avait jamais eu l'intention de rendre les territoires occupés, et que son objectif était de faire traîner les négociations pendant dix ans, tout en intensifiant la colonisation juive pour rendre la situation irréversible. À l'inverse, son successeur, Yitzhak Rabin, a mené campagne sur le retrait des territoires occupés et en promettant l'autonomie palestinienne dans un délai de 9 mois. Dès sa prise de fonction, Rabin a ordonné un gel partiel de la colonisation. De surcroît, le nouveau gouvernement a mis fin à la fiction d'une séparation entre l'OLP et les négociateurs palestiniens, en affirmant que ces derniers pouvaient consulter qui bon leur semble.

Aussitôt, les pourparlers ont repris à Washington. Dépassant les querelles de procédure, Palestiniens et Israéliens sont rentrés dans le vif de la négociation en échangeant des documents sur leur façon d'envisager la période intérimaire d'autonomie palestinienne. Plus spectaculaire encore, on a assisté au déblocage des négociations israélo-syriennes. En annonçant en septembre que, pour son gouvernement, la résolution 242 signifiait qu'Israël devrait se retirer d'une partie du Golan, Rabin a provoqué l'inquiétude chez les colons israéliens du Golan, mais a été bien accueilli en Syrie.

Les négociations multilatérales constituent le troisième volet du processus de paix, après la Conférence plénière de Madrid et l'ouverture de négociations bilatérales. La session multilatérale de Moscou (janvier 1992) a été boycottée par les Syriens, les Libanais et les Palestiniens. Par la suite, au mois de mai, les négociations ont été réparties entre plusieurs capitales selon les thèmes : réfugiés (Ottawa), armement (Washington), échanges économiques (Bruxelles), partage de l'eau (Vienne), environnement (Tokyo).

L'ami américain

Incontestable succès de la diplomatie du tandem Bush-Baker, le processus de paix se déroulait sur fond de campagne électorale aux États-Unis. Une avancée décisive, voire un accord, aurait permis au candidat Bush de marquer des points face à son rival démocrate Bill Clinton. Les Arabes, de leur côté, souhaitaient avancer le plus vite possible avec George Bush à la Maison-Blanche, tant ils se méfiaient des démocrates, traditionnellement plus favorables à l'État hébreu. Yitzhak Rabin, qui avait de son côté bénéficié du soutien presque ouvert de l'administration Bush face à Yitzhak Shamir, s'est bien gardé de jouer la carte démocrate et de freiner le processus de paix. Mais les désaccords persistants entre les ennemis du Moyen-Orient étaient trop profonds pour qu'une percée significative puisse intervenir avant l'élection présidentielle du 3 novembre. Compte tenu du rôle essentiel joué par l'administration sortante en tant que « parrain » de la négociation – l'autre « parrain » russe étant virtuellement inexistant Israéliens et Arabes se demandent si l'administration Clinton mettra autant d'énergie à faire progresser le dossier que celle de son prédécesseur. Pour se rassurer, les uns et les autres observent que le président élu s'est engagé à poursuivre le processus engagé à Madrid.

Jordanie

Quelques jours seulement après avoir célébré avec faste le 40e anniversaire de son accession au trône, le roi Hussein s'est envolé pour les États-Unis afin d'y subir l'ablation d'un rein. Son retour au pays, le 24 septembre, donne lieu à un accueil triomphal de tous les secteurs de l'opinion publique jordanienne. Début novembre, dans un discours à la nation, le souverain jordanien a annoncé à son peuple qu'il a été opéré d'un cancer, laissant entendre que sa guérison n'est pas assurée. Cette franchise sur son état de santé, sans précédent dans le monde arabe, a aussitôt relancé les spéculations sur l'avenir de la Jordanie après Hussein. Jamais, sans doute, en quarante ans de règne, le roi n'a bénéficié d'une telle popularité, tant de la part des Jordaniens de souche que du secteur palestinien de la population, et même en Cisjordanie. Le retour à la vie parlementaire entrepris en 1989 paraît désormais bien ancré et la démocratisation du monde arabe est désormais un thème majeur des interventions publiques du roi Hussein. L'arrestation, en septembre, de deux députés islamistes accusés de complot terroriste aurait pu faire craindre un retour du pays vers l'instabilité et la répression. Dans le procès à huis clos, le procureur a requis la peine de mort. Le tribunal a prononcé une peine de vingt ans de travaux forcés, mais, quelques jours plus tard, à l'occasion de son 57e anniversaire, le roi a promulgué une amnistie qui s'étendait aux deux parlementaires, désamorçant ainsi une fronde qui couvait parmi les députés islamistes et dans de larges secteurs de la population.

Faiblesse industrielle

L'industrie des pays du Proche-Orient, qui souffre de faiblesses structurelles, occupe une part réduite dans l'économie. L'industrie ne représente que 12 % du PNB en Jordanie, 16 % en Égypte, 18 % en Syrie et 40 % en Israël.

Égypte

La menace islamiste a également dominé la vie politique en Égypte. La région d'Assiout, au sud du Caire, était en état de semi-insurrection. Aux attentats islamistes répondait une répression très violente, arrestations arbitraires et torture systématique, qui a provoqué la mise en cause du comportement des forces de l'ordre par Amnesty International et Middle East Watch. Les mouvements islamistes clandestins ont lancé une campagne d'attentats contre les touristes occidentaux en Haute-Égypte, à Louqsor et à Assouan. La mort de plusieurs touristes étrangers a entraîné l'annulation de nombreuses réservations de voyagistes européens, mettant en péril l'industrie touristique égyptienne, qui est l'une des principales ressources en devises du pays.