Journal de l'année Édition 1993 1993Éd. 1993

Plus que le remplacement du président décédé par un membre du HCE (Ali Kafi), modeste mais influent président de l'association des anciens moudjahidin, l'effet immédiat (peut-être une coïncidence) en fut la nomination en juillet d'un nouveau gouvernement dirigé par Belaïd Abdesselam. ancien patron du Premier ministre sortant et qui avait attaché son nom à la politique économique (suivie sous la présidence d'Houari Boumediene jusqu'en 1978) instituant une forte économie d'État financée par les ressources des hydrocarbures et assise sur d'énormes sociétés d'État dont l'échec avait été enregistré dans les années 1980.

Contradictions

Le nouveau gouvernement est comme ses prédécesseurs confronté, plus encore qu'à une crise économique, à la quadrature du cercle : mener une politique économique d'assainissement du secteur public et de constitution d'un secteur privé qui ne peut dans le court terme qu'avoir des effets sociaux de nature à lui aliéner la population, quelles que soient les sympathies idéologiques de cette dernière. La dévaluation du dinar algérien et l'abandon progressif du soutien des prix lui aliènent les petits consommateurs, la faillite (au sens littéral et juridique) de nombreuses sociétés du secteur public éloigne de lui les cadres titulaires de rentes de situation tout comme les salariés protégés que le syndicat UGTA représente, l'absence de stabilité politique inquiète le patronat privé, l'ouverture aux investisseurs étrangers (peu enthousiastes pour les mêmes raisons que le patronat algérien) expose aux accusations de « braderie ».

Pacte national

L'Algérie recherche un « pacte social » qui n'est possible que si un « pacte national » débloque le processus politique. Ce « pacte national » (analogue au pacte tunisien de 1987) peut très bien d'ailleurs échouer, comme la répression tunisienne qui se poursuit depuis plus de deux ans le prouve. Combiner la répression, pour convaincre l'opposition islamiste qu'elle ne peut espérer occuper tout l'espace politique algérien, avec l'ouverture politique aux forces, y compris islamistes, qui accepteraient un processus de réforme ne touchant pas les intérêts vitaux de ceux qui, dans l'armée et le pouvoir civil, refusent leur autodestruction et qui, dans la société, refusent l'ordre moral et la revanche sociale qu'incarne à leurs yeux le FIS, telle est la peinture « optimiste » que l'on pourrait faire de la stratégie du pouvoir civil et surtout militaire algérien. Il n'est pas difficile d'en retourner les éléments pour en faire une peinture « pessimiste » qui évoquerait assez bien la guerre de libération nationale de 1954-1962 avec sa combinaison de répression, de plan économique de développement (le plan de Constantine) et de recherche d'un interlocuteur valable (ou d'une « Troisième Force »). Chacun ayant peur d'être le dupe de futurs « Accords d'Évian », la situation peut se prolonger, cependant qu'il ne manque pas de candidats à jouer les « conciliateurs » pour devenir le nouveau président de la cohabitation manquée en 1992 entre les forces aujourd'hui en guerre et, qui sait ? condamnées à s'entendre.

Chrono. : 11/01, 14/01, 4/03, 4/05, 29/06, 2/07, 15/07, 25/07, 21/09, 2/12.

Rachid Mimouni : De la barbarie en général et de l'intégrisme en particulier, Le Pré aux clercs, 1992.

Jean Leca