Journal de l'année Édition 1993 1993Éd. 1993

Sida et bioéthique

En juillet, à l'occasion de la VIIIe conférence internationale sur le sida d'Amsterdam, le docteur Michael Merson, chef du programme de lutte contre cette épidémie à l'OMS, déclare : « Si l'on veut lutter efficacement [...], il n'y a pas d'autre solution que d'agir de manière préventive, c'est-à-dire, qu'on le veuille ou non, d'obtenir une modification des comportements sexuels. »

Cette déclaration illustre bien les implications extrêmement profondes qu'entraîne cette nouvelle maladie. En France, la polémique sur la nécessité d'un dépistage systématique comme le procès du sang contaminé ont marqué l'actualité médicale, mais aussi politique et morale.

Sida

Le dépistage du sida doit-il être rendu obligatoire à certaines périodes de la vie (consultations prénuptiales et prénatales, incorporation au service militaire) ? Les opinions divergent, en raison notamment de l'absence de traitement efficace et de l'impossibilité qui s'ensuit de définir une attitude face aux personnes révélées séropositives. L'Académie de médecine et l'Ordre des médecins y sont favorables ; le Conseil national du sida, le Haut Comité de la Santé publique et le Comité national d'éthique y sont opposés. Finalement, le gouvernement décide que le dépistage du sida restera volontaire et ne sera effectué que sur demande ou chez une personne préalablement informée par son médecin. Afin de le favoriser, des mesures incitatives sont prises, comme le remboursement à 100 % du test ou sa gratuité pour toutes les personnes qui se présentent aux consultations de dépistage, de protection maternelle et infantile, dans les centres de planification et d'éducation familiale, y compris pour celles qui n'ont pas de couverture sociale.

Sida

Bruno Durieux, ministre de la Santé, annonce le 27 février que l'indemnisation des personnes infectées par le virus du sida lors de transfusions sanguines va commencer le 2 mars. Environ 5 000 personnes sont concernées par cette opération qui aura nécessité le vote d'une loi spéciale en décembre 1991.

Les médecins américains préfèrent exercer dans les régions où n'existe pas de sida, révèle une enquête publiée dans la revue de l'Association médicale américaine. 23 % des médecins interrogés refuseraient de soigner des sidéens s'ils avaient le choix. Les médecins européens et canadiens sont moins réticents que leurs confrères américains.

VIIIe conférence internationale d'Amsterdam

Le pessimisme sur les chances d'enrayer à court terme la progression de la maladie domine les travaux. Les experts restent divisés sur l'efficacité des traitements précoces, mais tous s'accordent pour en reconnaître le coût croissant.

L'UAP dénonce, dans le cadre de l'indemnisation des personnes contaminées par le virus du sida, les contrats qui la lient à vingt-cinq centres régionaux de transfusion. Selon l'UAP, la non-déclaration d'aggravation des risques entraîne la nullité des contrats souscrits. Cette décision, qui a engendré des réactions indignées, notamment de la part du ministère de la Santé, n'a été que feu de paille. Deux semaines après cette « affaire », la compagnie d'assurances donne 1,8 million de francs au centre de transfusion sanguine de Toulouse pour indemniser un hémophile contaminé.

Sida

L'association de malades et de familles de malades, AIDES, dénonce l'existence d'un fichier détenu par la Caisse nationale de prévoyance, dont les données peuvent être consultées par les banques sur Minitel. L'association attire également l'attention sur la pratique de dépistages « systématiques et clandestins » du virus du sida dans des services hospitaliers.

Sida

L'Inspection générale de la santé dénonce en novembre le fait que des collectes de sang ont été organisées dans les prisons, même après 1985. La population carcérale comporte un taux important de séropositifs et de malades atteints du sida.

Greffes d'organes

En pleine expansion (3 500 greffes par an), cette nouvelle technique médicale pose de graves problèmes (commercialisation des organes, accord des familles) qui ont été révélés lors de l'affaire dite « d'Amiens ». À la suite du décès accidentel de leur fils, des parents avaient accepté que soient effectués des prélèvements sur le corps de celui-ci, mais décidèrent de porter plainte pour « vol et violation de sépulture » quand ils apprirent que ses yeux, à propos desquels ils n'avaient rien précisé, avaient été également prélevés. Cette affaire rappelle au corps médical l'existence d'une loi spécifique aux prélèvements de cornée (loi Laffay, 1947), distincte de la loi Caillavet (1972), qui, contrairement au texte antérieur, stipule que toute personne qui n'a pas fait connaître son opposition de son vivant est supposée favorable aux dons de ses organes. L'affaire d'Amiens entraîne une chute des dons de cornée et plusieurs médecins, dont le prix Nobel Jean Dausset, proposent que soit institué un registre national informatisé des opposants aux dons d'organe.

Transplantation

Accusé d'avoir demandé de l'argent aux patients en attente de greffe, le Pr Fries, de Créteil, démissionne.

Les lois de bioéthique

Les immenses progrès technologiques et médicaux de ces dernières décennies ont rendu nécessaire la définition de garde-fous juridiques. En effet, si le Comité national d'éthique a déjà cinq ans d'existence et si les premiers projets en la matière datent de 1988, aucune loi n'a été encore adoptée sur les points suivants : respect du corps humain, dons d'organe, procréation médicalement assistée (PMA), liens entre informatique et recherche. Les projets de loi, présentés au Parlement à la session d'automne, ont été rédigés conjointement par les ministères de la Santé, de la Justice et de la Recherche. Ces textes interdisent tout commerce du corps humain et de ses dérivés, afin notamment d'éviter les trafics d'organes : « Le corps humain est indisponible et les dons sont gratuits. » Ils complètent la loi Caillavet en interdisant les prélèvements sur les mineurs et les majeurs sous tutelle (sauf pour la moelle osseuse). Ils stipulent que les procréations médicalement assistées doivent être strictement médicales et encadrées : la pratique des mères porteuses est déclarée illicite et les PMA sont réservées aux couples stériles ou risquant de transmettre une maladie particulièrement grave. Les PMA post mortem, ainsi que les PMA pour convenances personnelles, sont exclues. En matière de justice, l'utilisation des empreintes génétiques (identification des personnes) ne peut être faite qu'à la demande d'un juge pour une recherche de filiation (Code civil) ou dans le cadre d'une procédure pénale (Code pénal). Enfin, le ministère de la Recherche propose un « encadrement » des fichiers informatiques dans le domaine de la santé, complétant la loi Informatique et liberté.