URSS : l'année de la décomposition

L'année 1991 aura vu s'évanouir un rêve – ou un cauchemar – auquel le monde avait presque fini par croire : l'expansion irréversible du communisme. La « patrie » des bolcheviques a implosé, le Parti s'est liquéfié, et les nationalités ont fait une vigoureuse réapparition sur les ruines d'un empire qu'un Gorbatchev tentait de sauver, tandis qu'un Eltsine réussissait à s'en approprier le cœur. Un putsch raté a suffi pour faire tomber le fruit.

Le communisme institutionnalisé, sorti du cadre peu contraignant du débat idéologique, prit naissance en 1917 en Russie où, au vieil empire en ruines, il substitua l'URSS, base d'expansion, pour ses fondateurs, de la révolution mondiale et du communisme généralisé.

1991 aura vu disparaître ce rêve. Les étapes de ce changement historique, auquel peu croyaient tant la thèse de l'irréversibilité du communisme était bien ancrée, éclairent au stade final les raisons de l'échec de l'utopie de Marx, développée en système politique par les bolcheviques et leurs épigones. Élections, montée du mouvement social, décomposition de l'armée, renaissance de la nation russe, tels auront été en dernier ressort les éléments décisifs de l'effondrement rapide de l'URSS.

Une double opposition

Élections d'abord, ou plutôt, expression de la volonté populaire en trois étapes. À la fin de 1990, l'URSS était déjà soumise à des courants politiques contraires qui convergeaient en manifestations de différences nationales. Les quinze républiques de l'Union définissaient toutes leur statut en ignorant superbement la volonté du pouvoir central animé par Mikhaïl Gorbatchev de maintenir l'équilibre centre-républiques plus ou moins inchangé. Toutes, sous l'impulsion de leurs dirigeants élus en 1990 aux élections régionales, proclamaient leur souveraineté, et quatre d'entre elles, les trois républiques Baltes et l'Arménie, décidaient ensuite de devenir indépendantes. La Russie elle-même, pivot de l'URSS – et l'on reviendra sur son cas – proclamait son indépendance le 11 juin 1990. Au sein de la Russie, dix des républiques autonomes qu'elle intégrait étaient elles aussi gagnées par l'esprit de rébellion et proclamaient que leur statut politique était dépassé. S'érigeant, comme la Russie, en républiques de plein droit, elles affirmaient ne plus relever que du pouvoir central.

Confronté à ces volontés dispersées, dirigées les unes contre le centre, les autres contre la Russie, et anxieux de préserver le système, Mikhaïl Gorbatchev organisait alors un référendum sur le maintien de la fédération et s'engageait en échange à mieux équilibrer, dans une nouvelle construction, les pouvoirs centraux et républicains.

Ce référendum du 17 mars 1991 eut des résultats ambigus et des conséquences imprévues. Dans l'ensemble, la société se prononça pour le maintien de l'Union à plus de 70 %. Résultats trompeurs, cependant. Plusieurs républiques – pays Baltes et Géorgie – refusèrent de l'organiser ; d'autres enrichirent la question posée de leurs propres questions, ou la modifièrent. En définitive, la réponse apportée varia dans son contenu. (En Ukraine, si la majorité votait pour l'Union, l'Ukraine occidentale choisissait massivement l'indépendance.)

Si Gorbatchev tira la conclusion simple que, partant des résultats acquis, il pouvait faire avancer un projet d'union fédérale, il se heurta aussitôt à une double opposition. Celle des républiques qui refusaient ce système qu'elles jugeaient dépassé ; celle d'un homme qui, dès ce moment, se posait en rival : Boris Eltsine. Ce dernier défendait, contre Gorbatchev, la thèse d'une confédération soviétique qui, plaidait-il, correspondrait réellement aux divergences de vues que le référendum, honnêtement analysé, traduisait et permettrait de sauver un semblant de vie commune. Deux politiques, dès ce moment, allaient donc se heurter, et conduire à l'affrontement final.

La nouvelle légitimité

D'un côté, Gorbatchev s'acharnait à mettre l'Union sur pied et, de projet amendé en projet amendé, présentait à la société soviétique des variantes diverses, mais toujours fédérales et favorables au poids privilégié du centre, c'est-à-dire de la future Union. Le compromis élaboré à Novo-Ogarievo le 23 avril 1991 sembla lui donner la victoire, puisque neuf républiques l'acceptèrent. Pourtant, ce compromis annonçait déjà la fin de l'Union et celle de Gorbatchev. Ses partenaires, Eltsine au nom de la Russie en premier, y adhérèrent en soulignant que cette adhésion les autorisait à poser leurs conditions, qui tournaient toutes autour de l'abaissement du centre. Pour sauver l'apparence de l'Union, Gorbatchev dut, dès ce moment, accepter, d'un projet l'autre, des concessions limitant toujours plus le pouvoir central.