Le marché international de l'art

Le marché de l'art passionne un public toujours plus vaste. Le succès de la FIAC, des grandes manifestations de Drouot-Montaigne, les enchères galopantes sur les tableaux de grands maîtres en témoignent.
Les professionnels et les observateurs s'interrogent sur le proche avenir de ce marché qui s'emballe : nouvelles performances, ou réveils douloureux ?

Records par-ci, scandales par-là, débats, procès, interventions plus ou moins bien venues de l'État : l'année 1989 aura été fertile en surprises, en événements et en coups de théâtre – pas toujours à l'honneur de ses acteurs – sur la scène internationale du marché de l'art. Mais on sait depuis bien longtemps que le monde élégant des galeries, des musées et des collectionneurs n'est pas toujours aussi honnête que policé !

Paris retrouve la santé

Dieu merci, il y a surtout de bons événements. Le plus providentiel ayant été l'apparition miraculeuse et in extremis, le 30 novembre, des Noces de Pierrette, « le » Picasso du siècle. En effet, il fallait bien un miracle pour ressusciter le marché parisien et le tirer de la léthargie où l'avait plongé depuis près de 30 ans l'agressivité commerciale des maisons de vente anglo-saxonnes, Sotheby's et Christie's, même si cette lumineuse apparition restait entourée de multiples zones d'ombre quant à la provenance exacte du tableau et aux circonstances de son arrivée sous le marteau de Mes Binoche et Godeau. À cette occasion, s'est posée à nouveau la question de la libre circulation des œuvres d'art car les Noces, adjugées 300 millions de francs, sont parties au Japon.

Un record mondial a même été battu grâce à l'adjudication, à 22 050 000 F, d'un bronze florentin du début du xviie siècle, l'Enlèvement d'Hélène, de Francesco Susini. Il s'agissait non seulement d'un record pour un bronze, mais même pour tout objet d'art autre qu'un tableau (exception faite d'un évangéliaire du xiie siècle adjugé en 1983 par Sotheby's pour l'équivalent de 98 millions de francs). La somme a été légèrement dépassée par les 22 572 000 F offerts pour un retable du peintre catalan Bernat Martorell (xve s.), et frôlée à Roubaix par une Vierge à l'Enfant italienne du peintre Piero di Cosimo (fin xve s.).

De tels prix, quoique éloignés des records des tableaux modernes, constituent de véritables performances pour des œuvres religieuses du xve siècle, longtemps réputées invendables. Ce n'est pas le cas des dessins anciens, et singulièrement des dessins d'Ingres qui, depuis six ans, poursuivent leur étonnante escalade sur l'échelle des enchères ; à Paris, ils viennent ainsi de franchir un nouveau palier avec un record de 7 350 000 F, pour le double portrait, au crayon rehaussé de blanc, de Marie d'Agoult et de sa fille aînée.

Amour de l'art ou amour de l'or : la même ambiguïté règne sur le marché de l'Art déco 1925/1930, dont l'ascension, commencée en 1972 avec la vente Doucet, vient de trouver son point culminant avec la dispersion, le 13 décembre au George-V, des collections Alain Lesieutre, et une nouvelle pulvérisation de tous les records sur les meubles de Ruhlmann et les laques de Dunand. En seize ans, les prix auront été multipliés par 20, voire par 100. La mode ou même un simple événement d'actualité ont leur mot à dire dans la poussée des prix. Si la prestation d'Isabelle Adjani dans le rôle de Camille Claudel n'a pas fait l'unanimité des cinéphiles ni des historiens d'art, elle n'en a pas moins provoqué une arrivée massive, dans les ventes et en galerie, des œuvres de l'élève préférée de Rodin. De cette artiste encore presque ignorée il y a six ans, combien de Valses, combien d'Implorantes ont affronté cette année le feu des enchères, à des niveaux souvent supérieurs au million ?

La flambée espagnole

Du côté des tableaux modernes en revanche, et à part l'inespéré Picasso, les enchères françaises sont demeurées relativement modestes (un Bonnard à 29 millions, un Monet à 34, pour ne citer que ces exemples) à côté des performances de Londres ou de New York. La surprise est venue d'Espagne, quand une brusque flambée a embrasé d'honnêtes peintres ibériques du xxe siècle, morts ou vivants ; des peintres que les conjonctures politiques ont chassés de leur pays et dont les œuvres se trouvent maintenant en France. Mais l'Espagne a bien changé depuis onze ans, le pays s'est enrichi, de nouvelles fortunes se sont édifiées, des galeries d'art se sont ouvertes à Madrid ou à Barcelone, qu'il faut bien alimenter. D'où la demande soudaine des marchands de la péninsule, et des hausses brutales sur Sorolla, Dominguez, Gonzalès, Saura, Grau-Sala, Barcelo et bien d'autres, passés en trois ans de moins de 50 000 F à plus de 300 000 !