Journal de l'année Édition 1990 1990Éd. 1990

La fiction devait donc cesser. Du côté des pays débiteurs latino-américains, les émeutes au Venezuela en février 1989 et les signaux de radicalisation du discours (Mexique), ou même du pouvoir (Argentine), annonçaient le nécessaire changement. Du côté des créanciers, la consolidation des bilans bancaires et la constitution d'un volant plus important de provisions ont diminué la vulnérabilité résultant d'une exposition inconsidérée dans le financement des pays en développement.

Le plan Brady sanctionne donc la prise de conscience d'une évolution devenue inéluctable. Il établit en fait des principes d'action visant à développer les mesures de réduction de la dette et du service de la dette. Il fait appel aux ressources du FMI et de la Banque mondiale – qui se sont clairement engagés dans ce sens – pour soutenir de telles mesures mises en œuvre, sur une base de volontariat, par les banques commerciales : mises en place de garanties facilitant le rachat ou l'échange de créances à prix réduits, reconstitution des réserves des pays endettés qui rachètent leurs propres dettes. L'application de ces principes requiert dans chaque cas une nouvelle négociation entre les différentes parties prenantes.

Des effets limités

Le tournant représenté par le plan Brady dépasse-t-il le seul discours et permettra-t-il une réduction significative, sinon un renversement des flux de transferts nets négatifs qui en ont favorisé la conception ? Plusieurs contraintes en limiteront les effets, comme la finalisation, laborieuse, de l'accord mexicain semble l'illustrer en décembre 1989.

Premièrement, les ressources des institutions multilatérales ne permettent pas de soutenir à elles seules une réduction importante de la dette et du service de la dette. Deuxièmement, l'approche ne fait pas assez de cas des intérêts des acteurs privés, c'est-à-dire des banques commerciales. À supposer qu'une réduction partielle de la dette améliore la situation d'un débiteur au point qu'il sera mieux à même de servir les créances qui demeurent, on voit bien que toutes les banques profiteront de cette réduction et que celles qui en bénéficieront le plus sont justement celles qui la pratiqueront le moins : les banques qui consentent une réduction sensible de leurs créances rendent ainsi indirectement service aux autres. La mise en œuvre du plan Brady requiert donc la coopération des créanciers, qui ne peut être obtenue que dans une cohésion forte et une perception claire et unanimement partagée des enjeux et de la nécessité d'une telle action. Les intérêts des banques, qui varient avec leur taille, la répartition et la nature de leurs risques, le montant de leurs provisions semblent beaucoup trop divergents pour que l'on puisse s'attendre à leur participation enthousiaste derrière les principes du plan.

Enfin, les banques commerciales ont tout intérêt à faire état de leurs réticences, afin d'amener les pouvoirs publics – et en dernière analyse les contribuables – à supporter davantage le poids des réductions de dette, que ce soit sous forme de concours de soutien ou de réaménagements de la fiscalité des provisions pour perte et de la réglementation bancaire.

Dette et développement

On peut donc s'attendre à ce que l'approche du plan Brady n'ait que des effets limités et qu'elle doive être complétée, que ce soit par des mesures unilatérales de la part des pays débiteurs, ou par une coopération qui reste à inventer de la part des créanciers publics et privés. En tout état de cause, trois conclusions s'imposent, fin 1989, concernant le problème de la dette. Premièrement, la crise de la dette a contribué à faire éclater la notion de tiers-monde, entre les pays d'Asie (à l'exception des Philippines), qui s'en sont remarquablement sortis, ceux d'Afrique, qui en ressortent profondément marginalisés, et ceux d'Amérique latine, qui se sont considérablement appauvris. Deuxièmement, les banques semblent ne plus devoir participer de façon significative au financement du développement dans ces derniers pays. Échaudées, elles ont constitué des provisions qui leur permettent d'absorber plus sereinement les pertes encourues, et préféreront vraisemblablement investir leurs ressources dans les régions à fort potentiel, notamment en Asie et dans les pays industrialisés. Enfin, aucun schéma alternatif de financement du développement n'est aujourd'hui clairement envisagé.

L'espoir des pays endettés tient au retour des capitaux expatriés, à l'augmentation des flux officiels d'aide au développement, à la progression des flux d'investissement direct étranger. Au-delà de la crise de la dette, la décennie 1990 sera marquée par une nouvelle crise du développement.

Pierre Jacquet