De retour au gouvernement en 1986, Jacques Chirac a voulu marquer politiquement son intérêt pour le rang et le rôle du français en France et à l'étranger en instituant un secrétariat d'État chargé de la francophonie auprès du Premier ministre. Il en a confié la responsabilité à Lucette Michaux-Chevry, élue antillaise, mais sans lui donner, là non plus, de véritables moyens d'action. Le bilan de la nouvelle instance est donc pour le moment assez mince ; en outre, les conflits de compétence n'ont pas manqué de surgir entre le secrétariat d'État et le Commissariat général, mis à la disposition du premier « en tant que de besoin ». L'une des décisions de Mme Michaux-Chevry a été de supprimer le centre terminologique Jacques-Amyot, qui allait entamer ses activités et qui n'a pas encore été remplacé par une structure néologique digne de ce nom et capable de susciter une large coopération inter-francophone en matière de terminologie.

Si l'on ajoute qu'il existe tant à l'Élysée qu'à Matignon, au Quai d'Orsay et à la Coopération des « cellules » ou des « services » traitant de la francophonie, sans parler ici et là des « comités consultatifs » ou des « associations sans but lucratif », on comprendra que l'action purement française concernant la francophonie donne parfois une nette impression de chevauchement, voire de confusion, aux partenaires de Paris.

Cette dispersion n'a pas empêché que se tienne avec un certain succès, à Versailles et à Paris, en février 1986, le premier sommet francophone, à l'invitation du président Mitterrand. Chefs d'État ou de gouvernement, ministres ou diplomates d'une quarantaine de nations participèrent à ce premier plénum des « parlant français », qui fut en quelque sorte un galop d'essais. Dans l'enthousiasme de cette première furent adoptés sans examen approfondi une centaine de projets à réaliser en commun, dont vingt-huit prioritaires (banques de données, diffusion télévisuelle, enseignement médical par vidéodisques, traitement automatique des textes, programme photovoltaïque africain, baccalauréat international francophone, etc.). Beaucoup n'ont été qu'ébauchés, d'autres sont restés dans les cartons, certains enfin ont été relancés au deuxième sommet francophone, en 1987.

La création audiovisuelle

S'il est vrai que, du prix Nobel de la paix Élie Wiesel, citoyen américain de New York, d'origine judéo-européenne, écrivant en français, à la constante floraison de plumes de haute qualité maghrébines, négro-africaines, haïtiennes, libanaises ou canadiennes, la francophonie littéraire se porte bien ; s'il est vrai que les chancelleries des États non francophones prennent désormais au sérieux les conférences internationales entre dirigeants francisants ; s'il est vrai enfin que la démographie afro-arabe et la progression scolaire en Méditerranée et en Afrique propagent le français dans plus de trente nations du Sud à une vitesse que l'on n'aurait pu imaginer il y a un quart de siècle, il n'en demeure pas moins que, sauf exceptions (mathématiques, recherche historique, travaux sur le Sida, fusée Ariane, etc.), la francophonie est de moins en moins présente dans la compétition technique et scientifique mondiale de pointe.

Un autre domaine où la francophonie n'est pas encore parvenue à s'organiser efficacement est la création audiovisuelle, bien qu'il soit clair que « la francophonie sera télévisuelle ou ne sera pas ». Une conférence ministérielle sur la communication en français, tenue au Caire en février 1985, est parvenue à cette conclusion, mais cette constatation n'a pas été suivie jusqu'à présent de réalisations en dehors de la chaîne internationale par câble TV5, d'une audience au reste encore limitée.

Fragile empire de l'esprit dans un univers ayant de plus en plus tendance à n'attacher d'importance qu'à ce qui est immédiatement rentable, la francophonie a franchi l'étape délicate de sa naissance, mais elle n'est pas encore parvenue à ériger un môle solide de résistance face à l'uniformisation culturelle et spirituelle de la Terre ; là, pourtant, se trouve sans doute sa principale raison d'être. Les années qui viennent devraient, à cet égard, être révélatrices.

Jean-Pierre Péroncel-Hugoz
Journaliste au Monde, où il est notamment chargé des affaires francophones, J.-P. Péroncel-Hugoz est aussi l'auteur de plusieurs ouvrages sur les pays arabo-islamiqucs : le Radeau de Mahomet (Lieu commun, 1983) ; Une croix sur le Liban (Lieu commun, 1984).