L'immigration et ses problèmes

Parmi toutes les questions qui occupent le devant de la scène en cette année 1985, la politique à suivre à l'égard de l'immigration et des immigrés revient avec une particulière insistance. Chaque semaine, sinon chaque jour, presse écrite, radio ou télévision s'en font l'écho. Elle suscite en effet dans l'opinion, comme dans les instances politiques, syndicales, religieuses ou culturelles, des débats de nature idéologique et passionnelle le plus souvent polémiques. Les pages suivantes s'efforcent de présenter le plus objectivement possible les faits et les événements marquants, et les positions exprimées à leur sujet, plus ou moins nuancées, sinon radicalement opposées.

Le cadre annuel a de toute évidence un caractère limitatif, assez artificiel. Ce qui survient dans cet intervalle de temps résulte pour une grande part de circonstances antérieures et dessine déjà certains traits de l'avenir. 1985 n'échappe pas à la règle, et des références au passé sont nécessaires pour mieux comprendre la situation présente et éclairer les chemins du futur.

Si actuel et si aigu que soit aujourd'hui le problème de l'immigration, il ne s'agit pas d'un phénomène nouveau. Par suite de son évolution démographique, comme des guerres et de la conjoncture économique, la France a vu venir sur son territoire de nombreux étrangers, ou a fait appel à eux. Sans remonter trop loin en arrière, les recensements effectués depuis la fin de la première guerre mondiale en témoignent clairement.

Combien d'étrangers ?

Le nombre des étrangers présents s'accroît d'abord et atteint 2,5 millions en 1931, soit 6,6 % de la population totale. Survient la crise des années 30 : l'absence de nouvelles arrivées ainsi que les départs, spontanés ou plus ou moins forcés, font fléchir nombres et proportions. Le mouvement reprend après la Deuxième Guerre Mondiale, marque une pause vers les années 50, puis ne cesse plus de s'amplifier, à un rythme moins vif en fin de période. À un fort besoin de main-d'œuvre a succédé en effet la montée du chômage. D'autre part, le nombre de naturalisés s'étant accru de manière régulière, multiplié par 4 à 5 de 1921 à 1982, les Français de naissance ne sont plus aujourd'hui que 9 sur 10.

Il ne faut pas accorder aux chiffres plus de précision qu'ils n'en peuvent avoir. Nous ne livrerons ici aucune bataille de chiffres. Étant donné les difficultés d'un recensement des populations immigrées, parfois analphabètes ou logées de manière précaire, les résultats sont souvent sous-évalués, à quelque 10 % près peut-être, sans parler des « clandestins », qui, par nature, ne sont pas recensés. D'autres chiffres officiels proviennent du ministère de l'Intérieur, d'après le décompte des titres de séjour en cours de validité effectué à la fin de chaque année. Mais ici les résultats pêchent sans doute par excès, les étrangers, notamment, qui retournent dans leur pays restituant rarement leur titre de séjour.

Au 31 décembre 1981, le ministère de l'Intérieur donne 4 224 000 étrangers, à comparer aux 3 680 000 du recensement de mars 1982. La réalité se situe quelque part entre ces deux résultats, aux environs donc de 4 millions en 1982. Depuis, les chiffres de l'Intérieur accusent une légère augmentation, d'environ 250 à 300 000 (4 471 000 à la fin de 1983 et 4 486 000 à la fin de 1984).

Quant aux clandestins, sont-ils 500 000 comme le prétendent certains, ou 300 000, ce qui apparaît à d'autres comme un maximum absolu, ou moins encore si l'on se réfère, par exemple, aux 150 000 demandeurs de régularisation qui se sont fait connaître en 1981 ?

Bref, laissant à chacun le soin de trancher, selon ses raisons ou sa passion, une estimation globale de l'ordre de 4,2 à 4,5 millions d'étrangers en 1985 paraît plausible, soit une proportion de 8 % de la population totale, un peu plus ou un peu moins. Quelques dixièmes de point en plus ou en moins n'entachent d'ailleurs en rien la valeur des ordres de grandeur et des tendances, pas plus que la répartition de cette population suivant divers caractères, l'origine ethnique notamment, sur lesquels nous reviendrons.

La politique à l'égard de l'immigration

Cette présence étrangère en France ne résulte pas d'une volonté arrêtée des gouvernements successifs à l'égard de l'immigration. En dépit de lois, de règlements, de commissions de toutes sortes, les pouvoirs publics n'ont jamais suivi avec constance une conduite définie par avance, sans ambiguïté, ce dont témoignent les fortes variations d'entrées dans le pays au fil des années. Le choix n'a jamais été parfaitement accompli entre une politique de laisser-faire, ou de planification, entre une politique de peuplement, eu égard à la situation démographique, ou de pur recrutement de travailleurs. La conjoncture économique, la situation du marché de l'emploi, le souci de protection de la main-d'œuvre nationale semblent avoir dicté les décisions, indépendamment de toute autre considération.