Avec seulement cinq prix français depuis 1943 contre 91 prix américains et 31 prix anglais, on est tenté de penser que la recherche scientifique et économique de haut niveau est devenue un don anglo-saxon. Pourtant, la France a apporté en son temps quelques découvertes primordiales.

Parmi les plus célèbres, brillent particulièrement celles de la famille Curie, qui, à elle seule, obtint trois prix : Pierre et Marie Curie pour leur importante découverte du polonium et du radium, Marie Curie – rare chercheur à avoir eu deux fois le prix Nobel –, pour la détermination des propriétés du radium et son isolement à l'état métallique, Irène, sa fille, et son mari, Frédéric Joliot, pour leur synthèse d'éléments radioactifs. Nombre de ces découvertes eurent des conséquences pratiques et de vastes applications industrielles. Celles de Grignard et de Sabatier, notamment, furent à l'origine de grands progrès en chimie organique par la synthèse de nombreux hydrocarbures, dont le méthane.

Ainsi, avant la Seconde Guerre mondiale, la France avait obtenu 16 prix Nobel en l'espace de 34 ans, dont 11 en 10 ans. Elle était alors au troisième rang mondial derrière l'Allemagne (36) et la Grande-Bretagne (23), mais devant les États-Unis (13). Depuis 1945, de Cournand à Dausset, la France ne compte à son palmarès que 7 prix au total : aucun en chimie, 1 en économie, 2 en physique, 4 en médecine (dont deux à des médecins naturalisés américains). C'est dans ce dernier domaine que la France se maintient le mieux avec deux prix depuis moins de dix ans.

Pourtant, d'une manière générale, la France est de moins en moins présente parmi les grandes nations responsables du progrès scientifique mondial et même européen (38 prix à la Grande-Bretagne et 16 à l'Allemagne depuis 1943).

Guillemin, naturalisé américain, ne cache pas son amertume envers les structures scientifiques ou universitaires de son pays, qui n'ont pas voulu ou pas pu l'accueillir. C'est sans doute là la principale explication de la fuite, vers les États-Unis, des cerveaux européens attirés par l'effet d'entraînement qu'ont toujours les bons laboratoires sur les chercheurs, par les effets bénéfiques de la concurrence entre les équipes de travail ; enfin et surtout, par l'importance des moyens mis à leur disposition.

La faiblesse française dans le domaine des sciences est quand même à relativiser. Les prix Nobel récompensent des travaux de nature très hétérogène où recherche fondamentale et recherche appliquée sont très mêlées. L'importance de la première, terrain de prédilection des Français, peut parfois n'apparaître qu'a posteriori, à la lumière des applications pratiques, nées bien après. Ainsi, la France a remporté cinq « Fields Medals », équivalentes du prix Nobel en mathématique. Derrière les États-Unis, il est vrai, elle devance largement dans cette discipline la Grande-Bretagne et l'Allemagne.

Dans le palmarès mondial des prix Nobel, la France occupe une place contrastée, marquée par un déséquilibre croissant entre les lettres et les sciences. En 1913, Richet définissait les objectifs du prix de la façon suivante : « Enseigner au monde qu'il y a pour un homme un triple objectif : de poésie, de science et de paix. La science, c'est la vérité ; la poésie, c'est la beauté ; la paix, c'est la justice. » Il semble décidément que la France préfère le prix de beauté à tout autre.

Isabelle Chessé