Journal de l'année Édition 1985 1985Éd. 1985

Le débat sur l'euthanasie, relancé en 1984, a eu au moins un mérite : celui de lever le voile sur la mort, devenue un sujet tabou dans nos sociétés modernes d'Occident.

Robert Solé

Médecine : au nom de l'éthique

Rien ne sera plus jamais pareil : la science peut désormais procéder à des fécondations artificielles in vitro, congeler du sperme ou des ovules, marier des chromosomes humains à des chromosomes animaux ou végétaux, recruter des « mères porteuses » acceptant de faire naître un enfant à partir d'un embryon fécondé en laboratoire, etc.

Les prouesses de la biologie sont vertigineuses. L'année 1984 est, à cet égard, particulièrement remarquable : on a vu, sous ce millésime, la mise au point définitive du « bébé-éprouvette », l'exploit biologique ayant été transformé en routine hospitalière. On a vu une femme (Corinne Parpelaix) gagner son procès contre la banque du sperme — qui prétendait lui interdire une fécondation à partir du sperme congelé de son mari mort. On a vu une jeune Américaine recevoir — durant quelques jours seulement, hélas ! — la greffe d'un cœur de babouin. On a vu encore bien des choses, notamment des débats sur l'euthanasie, l'acharnement thérapeutique, le droit au suicide...

Des valeurs dépassées

La science a pris quelques longueurs d'avance sur la morale... et sur le droit successoral. De qui un enfant fécondé in vitro à partir du sperme d'un mort est-il légalement le fils ? A-t-on le droit d'être plus jeune que son fils ? Ou d'être le jumeau de son grand-père... ? Toutes ces folies sont devenues parfaitement réalisables du point de vue de la biologie moderne. D'ailleurs, nous avons assisté, par journaux interposés, à la discussion juridique au sujet d'embryons congelés, déposés en Australie par un couple américain qui avait ensuite péri dans un accident d'avion. Au nom du respect de la vie, il y avait, sur place, un consensus : conserver les embryons, dans l'attente d'une mère porteuse éventuelle. Mais, au nom du respect de l'héritage, les enfants du couple en question réclamaient la destruction de l'éprouvette, pour éviter d'avoir un jour à partager quelques centaines de milliers de dollars avec des frères ou sœurs non désirés...

La question n'a pas été tranchée, et les embryons litigieux demeurent donc, conservés sous azote liquide, dans les conteneurs d'un hôpital australien. On le voit : les prouesses de la science imposent un nouveau droit, une nouvelle morale, une nouvelle éthique. Il faut, de toute urgence, adapter nos valeurs et nos concepts aux possibilités de la biologie contemporaine.

Une haute autorité morale

Au point qu'une nouvelle discipline est née : la bioéthique. Il s'agit en somme de crier « Au secours ! ». On appelle la vieille morale à la rescousse, faute de savoir quoi faire avec toutes les possibilités de la science moderne. Aux États-Unis, des « comités de bioéthique » sont déjà en place dans tous les hôpitaux, qui donnent leur avis sur toutes les questions litigieuses impliquant une biotechnologie nouvelle. En France, le gouvernement a créé fin 1983 un Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé. Présidé par le professeur Jean Bernard, ce comité comprend trente-six membres, dont cinq personnalités désignées par le président de la République.

Bien sûr, ce comité de trente-six « sages » n'a aucun pouvoir pratique. Il s'agit d'une sorte d'autorité morale, qui se prononce librement sur toutes les questions entrant dans son champ de préoccupation. Le législateur se réserve simplement le droit de tenir compte des avis exprimés. Mais il va sans dire que ces avis sont très autorisés, très compétents. Et qu'en conséquence ils ont quasiment une force de loi automatique. Cependant, n'agissant que sur le plan moral, le Comité n'aurait aucun intérêt à détenir une quelconque autorité administrative qui le soumettrait nécessairement à des enjeux politiques ou partisans.

Première grande décision du Comité, celle prononcée solennellement contre les « ventres à louer ». Contre les mères porteuses qui accepteraient, moyennant finances, de mener à terme pour le compte d'autrui un embryon fécondé in vitro ou autrement. Cette pratique, largement usitée aux États-Unis, est jugée contraire au droit français. L'arsenal juridique existant permet d'ailleurs de s'y opposer. Surtout, la « transaction » n'offre aucune garantie au « client » : si la mère porteuse s'attache à son enfant, elle reste libre de ne pas le « livrer » à ses commanditaires. Dans ces conditions, il faudra donc trouver autre chose : le concept du « ventre à louer » est désormais effectivement réprouvé en France. C'est la première victoire du Comité national d'éthique.