Journal de l'année Édition 1984 1984Éd. 1984

Cependant, la mise à jour de l'ordonnance tient compte de la concentration des entreprises telle qu'elle se présente près de 40 ans après la Libération : en 1983, on compte 11 quotidiens nationaux (contre 28 en 1946) et 73 quotidiens de province (contre 175 en 1946). Le projet voudrait assurer la transparence des capitaux et de la gestion d'une part et la défense du pluralisme d'autre part, afin de sauvegarder l'avenir de la presse régionale et la diversité des titres à Paris.

Réalisme politique

Canal Plus est un bel exemple de l'évolution de ce gouvernement. Au début, le constat que le paysage audiovisuel est étriqué et que les Français veulent, comme dans les autres pays occidentaux, un plus large choix de chaînes. Et on se lance dans un projet de télévision éducative et culturelle, ouverte à l'expression des groupes et agent de communication sociale. Mais l'utopie se heurte aux contraintes financières, et l'idée est assez vite abandonnée. Avec André Rousselet, la logique de marché s'impose : Canal Plus sera une chaîne à dominante cinématographique, seul moyen, d'après les études, de trouver un nombre suffisant d'abonnés. Le réalisme politique appliqué à la communication.

On comprend plus mal, en revanche, l'acharnement mis par le gouvernement socialiste à matraquer la vidéo. Lourde taxe, blocage en douane des appareils japonais, augmentation de la TVA sur le matériel. Est-ce seulement un ensemble de mesures destinées à freiner l'invasion nippone (qui coûte cher à notre balance commerciale), ou, plus profondément, l'aversion (philosophique ?) des socialistes envers ce qu'on ne peut pas contrôler ? La privatique, comme on dit maintenant — c'est-à-dire le magnétoscope, les jeux vidéo, le micro-ordinateur —, s'opposerait-elle à une stratégie des réseaux câblés dans laquelle l'État et les collectivités locales — c'est-à-dire les pouvoirs politiques — seraient à même de contrôler la consommation des Français en matière d'audiovisuel ? Si c'est le cas, l'ouverture pratiquée avec la loi du 29 juillet 1982 devra être singulièrement élargie.

Mais, derrière ces initiatives, ces choix et ces éventuelles contradictions, se profile la voie française d'une société de communication. Les années 60 ont été celles du logement, 70 celles de l'aménagement du territoire ; nous sommes maintenant entrés, avec l'électronique, dans une nouvelle ère. Notre pays est à mi-chemin entre la société américaine et celle des pays socialistes : rôle déterminant de l'État, mais liberté d'entreprendre et de communiquer. Alors, à tâtons, on cherche à utiliser ces deux forces contradictoires. La puissance des pouvoirs publics sera canalisée — par exemple dans le plan de câblage, comme cela a été le cas naguère pour le téléphone — mais sans compromettre les chances de l'initiative privée, pour les tuyaux comme pour la production des programmes.

En même temps, on tente d'ordonner cela, pour éviter tout ce qui peut rappeler l'anarchie à l'italienne ou le capitalisme sauvage à l'américaine. C'est vrai aujourd'hui des radios privées locales et de la télématique grand public ; ce le sera demain avec les réseaux câblés et les satellites de télévision directe.

L'ardente obligation

Et, tandis que commencent à se préciser les stratégies multi-médias des grands groupes comme des petits — presse écrite, audiovisuel, édition, publicité —, le gouvernement décide un effort exceptionnel et coordonné sur plusieurs années en faveur des industries de la communication. Le IXe Plan leur consacre 21 milliards de F en 5 ans dans l'un de ses programmes prioritaires d'exécution, l'équivalent d'une loi-programme, avec engagement automatique des dépenses dans les budgets successifs. Si le budget et le Plan sont la traduction d'une politique, voilà bien la preuve que l'importance de la communication est désormais reconnue au sommet de l'État. Et que celui-ci continuera à jouer son rôle moteur.

Est reconnue du même coup la nécessité de doter la France, très rapidement, d'une véritable industrie des programmes. À quoi servira-t-il d'avoir un réseau câblé local avec la possibilité de dizaines de canaux si on les remplit, comme les télévisions privées italiennes, avec des dessins animés japonais et des séries B américaines ?