Journal de l'année Édition 1982 1982Éd. 1982

Il s'ensuit des tiraillements sur les échanges commerciaux, où la France s'oppose au libéralisme à tous crins de Bonn et de Londres, que ce soit sur le contingentement déguisé ou non des importations, sur les aides à l'industrie, par la mise en place de détaxes (industrie textile) ou le renforcement de la TVA. Toutefois, devant les difficultés (automobile, sidérurgie, textile), les Dix sont parvenus à mieux harmoniser leur politique, tant vis-à-vis des États-Unis que du Japon ou des pays de l'Est. La pression américaine s'est pourtant faite vive sur l'Europe, avec l'application par Washington de droits compensateurs sur les aciers européens et l'embargo sur les matériels de haute technologie (visant la construction du gazoduc sibérien), embargo étendu aux filiales étrangères et aux brevets américains.

Le plus difficile aura été sans doute l'aspect monétaire. La politique déflationniste de la plupart des pays membres, dont la France s'est écartée par une plus grande redistribution sociale et une certaine relance par la consommation, a provoqué un différentiel d'inflation dont la mesure a été prise par les réaménagements monétaires successifs, suivis finalement d'un renversement de politique économique en France courant juin et des inévitables répercussions sur les monnaies vertes et la définition des prix agricoles. Notamment avec la Grande-Bretagne.

Mal anglais

L'obstination de Margaret Thatcher à refuser l'application des règles de solidarité financière entre les membres de la Communauté et à exiger des allégements à sa contribution au budget de la CEE (Journal de l'année 1980-81) a suscité au fil des mois une tension croissante. Celle-ci a atteint son paroxysme au printemps 1982, au moment ou est célébré le 25e anniversaire de la signature du traité de Rome.

« La CEE traverse peut-être la période la plus grave de son histoire », n'hésite pas à dire alors Gaston Thorn, le président de la Commission. Ce n'est que le 18 mai, en effet, soit avec près de sept semaines de retard que les Dix adoptent l'accord sur les prix agricoles de la campagne 1982-1983, non par une décision unanime, mais par un vote à la majorité qualifiée, avec deux abstentions (Grèce et Danemark) et l'opposition de la Grande-Bretagne. Que le conseil des ministres puisse passer outre au veto de l'un des membres de la CEE ne s'était jamais vu dans l'histoire de la Communauté européenne !

La Grande-Bretagne avait, en effet, élaboré au cours des années antérieures une tactique de négociations, simple mais efficace : échanger un accord sur les prix agricoles contre un allégement de sa contribution budgétaire.

Le Premier ministre britannique voulait, au départ, un aménagement de sa contribution pour une durée illimitée, puis pour sept ans et pour quatre ans.

Mais le chantage a cette fois échoué. La France s'y est opposée avec force, entraînant l'adhésion de l'Allemagne fédérale puis celle des autres partenaires. Après avoir exigé 1,4 milliard d'écus, puis 1,3 et enfin 1 milliard, Margaret Thatcher a finalement accepté, le 25 mai, un allégement modeste de 850 millions d'écus, révisable seulement en fin d'année si la contribution nette effective du Royaume-Uni dépassait le seuil de 1,532 milliard d'écus.

C'est la trêve. Il est vrai qu'entre-temps le gouvernement britannique, engagé à fond dans la reconquête des Malouines, a obtenu la reconduction des sanctions économiques de l'Europe contre l'Argentine.

Le compromis de Luxembourg de 1966 à 1982

Le conseil des ministres des Dix décide le 19 mai 1982 de passer outre au veto britannique pour fixer les prix agricoles de la campagne 1982-1983. Le conseil se réfère alors au compromis de Luxembourg du 18 janvier 1966 : à la suite de nombreux différends sur la politique agricole, les Six avaient décidé alors que l'unanimité serait nécessaire pour les décisions considérées par un pays membre comme mettant en jeu des intérêts « très importants ». C'est le droit de veto qui en découle que la Grande-Bretagne a invoqué pour refuser l'augmentation des prix agricoles, afin d'obtenir du même coup l'accord espéré sur le budget. Les partenaires de la Grande-Bretagne ont refusé son attitude, arguant du fait que l'important pour Londres c'était le problème budgétaire, mais que celui-ci n'était lié d'aucune façon aux prix agricoles. Une fois de plus les Européens ont réussi a se mettre d'accord, mais il reste de ce différend qu'un pays de la CEE ne peut plus être seul juge de ce qu'il considère comme son intérêt vital. C'est un précédent qui fera date, sans doute.

Compromis

Le compromis budgétaire aura en définitive sauvé une fois de plus la politique agricole commune, à laquelle la France est d'autant plus attachée qu'elle n'ignore pas le poids des pressions exercées par les États-Unis pour supprimer la préférence communautaire, qui fait obstacle à ses propres exportations. Pour autant, la France n'a pas obtenu tout ce qu'elle espérait.