Journal de l'année Édition 1982 1982Éd. 1982

L'établissement de l'impôt sur la fortune, l'alourdissement de l'impôt sur les hauts revenus, la fin de l'anonymat sur les transactions de l'or ainsi que la loi Auroux sur l'expression des salariés dans l'entreprise entraînèrent des prises de position très semblables. Devant des changements de cette ampleur, il y a bien en effet deux France politiques.

Les très importantes mesures sociales également décidées — abaissement de la durée hebdomadaire du travail à 39 heures dès cette année, 5e semaine de congés payés, relèvement substantiel des prestations sociales et familiales et des bas salaires, adoption du principe du droit à la retraite dès 60 ans pour le 1er avril 1983 — suscitèrent de vifs échanges. Mais, cette fois, les positions étaient plus nuancées au sein de la majorité entre maximalistes et possibilistes, au sein de l'opposition entre adversaires de doctrine et adversaires de circonstance. Cela s'expliquait aussi par les avatars de la politique économique conjoncturelle.

Dévaluations

Le gouvernement, il l'avait toujours annoncé, avait tenté d'abord une relance de la croissance par la consommation et par les investissements publics. Il avait dû procéder dès octobre à une première dévaluation, de peu d'ampleur (Jacques Delors l'aurait préférée plus ambitieuse pour stimuler les exportations). À partir du mois de janvier, il devint patent que, faute de reprise internationale simultanée, les conséquences des choix français sur le commerce extérieur et la monnaie devenaient périlleuses et que les déséquilibres du budget de l'État, de la Sécurité sociale et des allocations chômage allaient inexorablement se creuser, ce qui se produisit. Il fallut bien se rendre à la dictature des chiffres : ce fut la seconde dévaluation, celle de juin 1982, un peu plus importante que la première, avec tout un train de mesures d'accompagnement : blocage pour quatre mois des prix et des salaires, économies budgétaires, remise en ordre des finances sociales.

C'est cette volonté que voulait incarner le remaniement qui clôt cette année et qui enregistre le départ de Nicole Questiaux, ministre de la Solidarité nationale, trop insensible à l'ampleur du déficit, ainsi que le passage du ministère du Travail sous l'autorité de son successeur (Pierre Bérégovoy). La lutte contre le chômage était confiée à un familier de Pierre Mauroy, Jean Le Garrec, et Jean-Pierre Chevènement voyait le portefeuille de l'Industrie, qu'il guignait depuis l'an passé, arrondir ses attributions de ministre de la Recherche et de la Technologie.

Majorité

Ces querelles, ces options et ces évolutions ont naturellement largement modifié le climat politique et social. L'année 1981-1982 se divise, en effet, sur ce plan, en deux semestres bien contrastés. De juin à décembre 1981, ce fut d'abord le règne de l'état de grâce, ce cadeau véritablement royal offert à tout président élu pour inaugurer son septennat. Durant ce temps, l'opposition pouvait bien se battre, elle ne faisait, et le savait, que prendre date. L'impressionnant tient à la rapidité avec laquelle ce climat se dissipa. La crise mondiale, les maladresses d'un gouvernement débutant, l'ampleur même des réformes y furent pour beaucoup.

Dès le départ, le patronat était hostile — même si le nouveau président du CNPF, Yvon Gattaz, passait pour un homme de dialogue. Très vite, membres des professions libérales — médecins en tête — et travailleurs indépendants se mobilisèrent à leur tour pendant que les cadres commençaient à s'inquiéter sérieusement. Les gros bataillons de petits et moyens salariés, en revanche, restaient acquis au gouvernement ; la situation politique demeurait, de fait, confortable.

Ce furent deux vagues d'élections qui sonnèrent le passage de l'euphorie à une situation moins enviable ; les quatre élections législatives partielles de janvier, d'abord, virent le succès, dès le premier tour, des candidats de l'opposition, parmi lesquels Alain Peyrefitte, l'ancien garde des Sceaux, symbole de l'ancienne majorité.