Ainsi, si André Bergeron est l'interlocuteur syndical privilégié de F. Mitterrand et s'en va répétant qu'il ne fera rien qui puisse contrecarrer la réussite de l'expérience socialiste, FO s'inquiète d'une double dérive idéologique et économique. Ne se résignant pas à la présence de communistes au gouvernement — un dossier sur le comportement des communistes dans l'appareil de l'État est publié le 15 janvier 1982 sans apporter beaucoup de révélations —, FO s'insurge contre tout ce qui pourrait menacer la négociation collective et faire le lit de l'autogestion. Ainsi part-elle en guerre contre plusieurs dispositions des projets Auroux.

Accrochée, comme la CGT, au maintien du pouvoir d'achat, FO s'alarme aussi du déficit inflationniste de la protection sociale. Cette crainte rejoint celle d'autres syndicats et, paradoxalement, parmi les quatorze ordonnances sociales, c'est celle sur l'abaissement de l'âge de la retraite, condamnant le système contractuel de la garantie de ressources, qui est la plus mal accueillie.

Les désenchantements n'épargnent pas les autres syndicats réformistes. Prudente, soucieuse d'équité sociale et de responsabilité économique, la CFTC craint que le gouvernement n'aille « tuer le comptable » et n'hésite pas, en mai, à lancer une semaine d'action pour la liberté de l'enseignement.

Après un certain attentisme bienveillant mais critique, la CGC franchit le 28 janvier, lors d'un meeting à Paris, le Rubicon, adoptant une démarche plus oppositionnelle. Préoccupée de ne plus être pour les cadres le seul interlocuteur du gouvernement, elle dénonce une remise en cause du rôle des cadres, un danger d'étatisation et de faillite économique résultant d'incompétences d'erreurs idéologiques, d'incohérences. La table ronde des cadres du 23 février laisse espérer une trêve entre le gouvernement et la CGC. En vain. Celle-ci poursuit jusqu'en mai un « tour de France de la grogne ».

Pourtant indéniablement, François Mitterrand et Pierre Mauroy peuvent se prévaloir de notables succès dans le domaine social, la dynamique de concertation retrouvée n'étant pas le moindre. Le social, et en premier lieu l'emploi, est une priorité. L'accord du 17 juillet 1981 sur la durée du travail, suivi d'une cinquantaine d'accords de branches, est un succès pour le gouvernement.

Les quatorze ordonnances sociales prises entre le 1er février et le 31 mars, s'ajoutant à la loi sur les nationalisations et aux projets de Jean Auroux, ministre du Travail, sur les droits nouveaux des travailleurs, concrétisent les promesses de changement faites lors de la campagne électorale.

La politique contractuelle bat son plein dans le secteur public et nationalisé : un accord global 1981-1982 (salaires, durée du travail, etc.) est signé par tous les syndicats à la SNCF, malgré l'expression de réserves sur certains points.

Un autre accord global avec une formule salariale anticipant sur une décélération de la hausse des prix est signé pour 2 ans aussi à la RATP, par tous les syndicats sauf la CFDT. À EDF, seuls des syndicats réformistes signent des accords sur la réduction de la durée du travail et les salaires 1982, mais tous les syndicats ratifient le 31 mars une « réforme des structures des rémunérations ».

Division

Le maintien du pouvoir d'achat étant la règle, la FEN, FO, la CFTC et les autonomes signent le 29 septembre un « relevé de conclusions » sur les salaires dans la fonction publique. Les mêmes signataires plus la CGC se retrouveront pour les salaires 1982 le 10 mars, la CGT contestant toujours la référence à l'indice des prix de l'INSEE. Mais la CGT joue dans la fonction publique, dirigée par un ministre communiste, le jeu de la concertation, ratifiant en septembre un engagement de négociations. Les succès existent donc, le gouvernement Mauroy attribuant ses revers à la persistance de la division syndicale. Une division que Jacques Delors ne se prive pas de dénoncer.

Loin de s'atténuer, la division syndicale s'est en effet accentuée. Mettant en avant deux logiques syndicales et deux conceptions du socialisme radicalement opposées, CGT et CFDT ont campé sur leur discorde, perpétuant, contrairement aux partis de gauche, la rupture de leur unité d'action. Les événements de Pologne ont accentué la division. Alors que tous les syndicats français, CGT inclue, avaient reçu Lech Walesa lors de sa visite à Paris en octobre 1981, la CGT se démarqua le soir du 13 décembre par un refus de condamner le coup d'État polonais. Au même moment, la CFDT, la FEN, FO, la CFTC et le CGC — fait unique — tenaient une réunion commune et organisaient une manifestation unitaire le 14 décembre, puis une grève d'une heure le 21 décembre.