François Mitterrand l'a bien compris, qui se fait aussi discret que possible. À Créteil, un congrès extraordinaire du PS ratifie sa candidature, adopte un manifeste électoral anodin, accepte volontiers que Lionel Jospin assure l'intérim du Premier secrétaire. C'est un bon choix. Le nouveau leader est vigoureux, loyal et populaire. En février, Pierre Mauroy, le député-maire de Lille, ami et allié de Michel Rocard, est choisi comme porte-parole de la campagne.

Autre décision adroite, puisque sa rondeur et sa sincérité sécurisent ceux qui veulent sanctionner Valéry Giscard d'Estaing sans avoir l'âme révolutionnaire. François Mitterrand réunit ainsi autour de lui toutes les tendances et toutes les énergies de son parti. Lorsque Georges Marchais réclame derechef une participation gouvernementale en cas de défaite du président, il lui est répondu avec hauteur qu'il faudrait d'abord changer de ligne pour cela. Quand, à la télévision, lieu principal de la campagne, Georges Marchais s'exclame, le 22 mars — c'est à Cartes sur table —, que voter François Mitterrand lui poserait un grave problème et que des grèves suivraient un succès socialiste, on y voit un mauvais coup pour le candidat socialiste. C'est tout le contraire. Plus François Mitterrand est attaqué par le PC, plus il rassure. Comme il se garde bien de tenir des propos qui puissent troubler l'électorat du PC, il ne perd rien sur son flanc gauche de ce qu'il gagne sur son flanc droit.

Même Jacques Chirac ne le dessert pas. Le maire de Paris s'est déclaré très tard (le 3 février), pour provoquer un effet dramatique. Le RPR l'a aussitôt acclamé. Michel Debré, ulcéré, n'a rien pu. L'abattage, l'allant et le talent électoral du député de la Corrèze relèguent immédiatement le maire d'Amboise au second plan. Le fondateur du RPR, conseillé par Charles Pasqua, mène une campagne active et hardie. Il a choisi un thème de bataille ingénieux, qui rompt la monotonie du débat : le reaganisme à la française. Les recettes sont simples : de l'énergie, encore de l'énergie, toujours de l'énergie ; ce volontarisme sans complexe recommande une forte réduction de la pression fiscale et du train de vie de l'État, une relance de l'économie par l'investissement, un financement par la croissance.

Les économistes distingués sourient, mais les électeurs en parlent. Une orchestration habile fait croire qu'un vaste mouvement d'opinion se déclenche. Toute l'argumentation critique implicitement Valéry Giscard d'Estaing.

François Mitterrand, en revanche, est ménagé. Jacques Chirac jouera ainsi (consciemment ou pas) les rabatteurs au bénéfice du chasseur socialiste. Michel Crépeau, président des radicaux de gauche, candidat officiel depuis le 28 février, ne porte guère d'ombre au leader du PS. Chacun s'attend trop à l'explication finale des « duettistes », comme les a surnommés Georges Marchais.

Enfin, le bon dernier, comme il se doit, par ordre protocolaire ou théâtral, Valéry Giscard d'Estaing entre en scène. Il se déclare le 2 mars, se présentant étrangement comme un citoyen-candidat. C'est une distinction fort libérale dans son principe. En pratique elle s'avère intenable. C'est le président que les Français voient devant eux. C'est le chef de l'État qu'ils jugent.

Le bilan du septennat et les propositions nouvelles ne seront jamais séparés (les challengers y veillent). Valéry Giscard d'Estaing lui-même sera d'ailleurs bien obligé de transgresser cette fiction. Quand François Mitterrand brocarde sa politique étrangère, critique ses relations avec l'Union soviétique (le fameux « salaire de Varsovie » et le blessant « petit télégraphiste de Moscou »), il monte aussitôt sur ses grands chevaux et s'offusque de ce que l'on affaiblit le crédit de la France. Jean François-Poncet et les principaux lieutenants de la campagne présidentielle (Jean-Philippe Lecat, Jean-François Deniau, Monique Pelletier, qui ont abandonné leurs fonctions gouvernementales pour l'aider) crient au scandale. Raymond Barre, ce sera à peu près sa seule intervention, est indigné. Sur ce terrain, le président sortant est traqué par François Mitterrand. Jacques Chirac, Michel Debré et surtout Marie-France Garaud font chorus. Il n'y a pas de citoyen-candidat mais un chef de l'État harcelé de toutes parts.