Journal de l'année Édition 1981 1981Éd. 1981

Bourse

Le grand tournant

Juillet 1980, le temps des vacances, mais aussi le temps de la sérénité pour la Bourse de Paris, dont les habitués ne soupçonnent pas encore le choc qui les attend quelques mois plus tard. Sur le plan économique, la première moitié de l'année a été excellente. Sur le plan monétaire, la forte baisse des taux d'intérêts américains — le prime rate fléchit en juillet à 10,75 %, contre 20 % en avril — favorise les différentes places mondiales.

Pour Paris, c'est en outre la répétition d'un scénario désormais classique. Pour la troisième fois en effet, les achats des investisseurs désirant bénéficier de la loi Monory entraînent la cote. Cette loi offre la possibilité de déduire du revenu imposable 5 000 F dès lors qu'ils ont été consacrés à l'acquisition de valeurs françaises. Une somme d'ailleurs majorable de 500 F par enfant à charge pour chacun des deux premiers et de 1 000 F par enfant à partir du troisième. Elle permet de drainer vers le marché financier un flux régulier d'argent frais. Ce qui en conforte les positions.

Cet été 1980 débute sous les auspices d'une restructuration industrielle majeure. Rhône-Poulenc conclut en effet deux accords, avec la Société française des pétroles BP et avec Elf Aquitaine, par lesquels il se dégage de la pétrochimie de base et des polymères pour développer plus fortement ses activités à haute valeur ajoutée. Elf Aquitaine reçoit l'essentiel des actifs cédés avant d'y associer Total dans le cadre d'une coopération chimique ancienne.

Plus inattendu est l'accord qu'annonce peu de temps après le groupe Lafarge. Il ne s'agit ni plus ni moins que de passer du ciment à l'agro-industrie en prenant le contrôle du groupe belge Coppée, qui possède notamment en France la SIAS et sa filiale Orsan. C'est à un renoncement auquel on assiste au contraire dans le domaine des pneumatiques : Continental Gummi ne rachètera pas Kléber-Colombes comme il avait convenu. Michelin retrouve donc son embarrassante filiale, mais en assurera désormais la gestion industrielle, alors que les relations antérieures n'avaient pas débordé le cadre financier.

Reagan au « top »

Favorisée, donc, par les achats de SICAV Monory, la classique hausse d'été se prolonge plus tard que d'ordinaire. Un mois de plus très exactement, c'est-à-dire jusqu'à début novembre. Les questions pourtant ne manquent pas, ni les sujets de préoccupation. L'activité économique, très bonne au premier semestre, tend en effet à faiblir, et cela de façon souvent marquée. L'inflation ne relâche guère sa pression, et les taux d'intérêt ont repris leur avance.

Le prime rate américain est à 14 % en octobre, quelques jours après que le déclenchement du conflit armé entre l'Iran et l'Iraq a entraîné une forte tension des cours de l'or au-dessus de 700 dollars l'once. Enfin, il est de nouveau question d'élections, présidentielles cette fois, et, si l'enjeu apparaît différent de celui de 1978, certains jugent possibles des rebondissements imprévus.

Le marché culmine au moment précis de l'élection de Ronald Reagan à la présidence des États-Unis. L'indice général de la Compagnie des agents de change est alors à 120,3. Sa hausse est de 17 % depuis le début de l'année et de 11 % depuis l'été. Une réaction s'impose. Elle ramène l'indice à 112 à la fin de l'année, et cela bien que quelques situations spéciales animent tour à tour le marché.

Prise de contrôle

En premier lieu, l'affaire Béghin-Say, dont les Italiens du groupe Ferruzzi ramassent une quantité importante de titres, sur le marché mais aussi auprès des Belges de la Raffinerie tirlementoise. Un accord sera finalement trouvé avec les grands actionnaires français pour constituer un holding de contrôle commun. Ensuite, l'affaire Hachette. Le titre est en Bourse l'objet d'un ramassage suivi que d'aucuns attribuent à la Banque privée de gestion financière, qu'anime Jean-Luc Gendry. C'est exact. D'abord 10 %, et bien vite le contrôle de fait avec 41 %. Pour mieux le revendre. Un accord est rapidement conclu avec Jean-Luc Lagardère, le patron de Matra et d'Europe 1. Une prise de contrôle qui fait d'autant plus parler d'elle que toute la presse se sent concernée.