Journal de l'année Édition 1981 1981Éd. 1981

Budget

Changement de cap

Le budget est au centre du grand renversement de politique qui a suivi l'élection de François Mitterrand à la présidence de la République. Alors que Jacques Chirac fait une campagne reaganienne, axée sur la nécessité de baisser les impôts et donc de faire des économies budgétaires, le nouveau gouvernement socialiste s'est au contraire lancé dans une politique de dépenses publiques. L'idée, conforme à la théorie de Keynes, est de stimuler l'économie et de sortir, par-là, du sous-emploi. La chose paraissait possible puisque, selon les experts du PS, « les caisses sont pleines, c'est le seul acquis de Raymond Barre »... Au cours de son débat télévisé du 5 mai 1981 avec Valéry Giscard d'Estaing, F. Mitterrand avait concédé : « Le déficit budgétaire par rapport aux pays voisins me laisse une marge suffisante pour (...) pouvoir animer l'économie de mon pays ».

Une fois n'est pas coutume, l'année 1980 a en effet été plus favorable que la prévision initiale (en général minorée) ! Le déficit prévu dans la loi de finances s'élevait à 31,1 milliards de F, qui étaient passés à 35,8 milliards après les deux lois de finances rectificatives de fin d'année. Puis le ministre du Budget, Maurice Papon, a indiqué au printemps 1981 que, tous comptes faits, le solde d'exécution n'était que de – 30,3 milliards. Ce montant équivaut à 1,1 % du produit intérieur brut : c'est le plus faible des grands pays (le déficit atteint 2,3 % aux États-Unis, 3,5 % en Allemagne fédérale, 4,8 % en Grande-Bretagne et 10,6 % en Italie).

En outre, il a été financé en totalité par des emprunts à long terme (31 milliards de F) : il n'y a donc pas eu de création monétaire, ce qui est favorable à une désinflation en profondeur. « Par la rigueur de sa gestion budgétaire, a conclu M. Papon, l'État a apporté une importante contribution au renforcement de l'économie. »

À vrai dire, l'exécution apparemment rigoureuse du budget de 1980 est due beaucoup plus à des rentrées de recettes imprévues qu'à la modération des dépenses de l'État. Les ressources se sont en effet avérées supérieures de plus de 25 milliards aux prévisions.

Trois raisons

À cela, il y a trois raisons principales. D'abord, les très bons résultats des sociétés en 1979 ont entraîné une progression de leur bénéfice fiscal de plus de 20 % (au lieu des 10 % prévus). Les plus-values ont été essentiellement encaissées au premier semestre, lors du versement du solde de régularisation de l'impôt sur les sociétés. Ensuite, la bonne tenue de l'activité, fouettée par une certaine fuite devant la monnaie (consécutive au second choc pétrolier) et cumulée avec de vives hausses de prix, fin 1979 et encore début 1980, a fortement grossi les rentrées de TVA. Enfin, la flambée des taux d'intérêt, en relevant de 50 % les revenus des capitaux mobiliers, a également engendré des plus-values à l'impôt sur le revenu. Au total, les recettes ont augmenté de 17 % par rapport à la loi de règlement de 1979, soit de plus de 3 % en valeur réelle, ce qui est considérable, appliqué à des masses supérieures à 500 milliards de francs.

Ces recettes accrues ont permis de financer des majorations de dépenses inéluctables, régularisées par la traditionnelle loi de finances rectificative balai de fin d'année. La hausse des prix, très supérieure aux prévisions (13,6 % au lieu de 9 %), a renchéri le versement des rémunérations des fonctionnaires ; d'autre part, la rechute de l'activité imposée par le choc pétrolier à partir du printemps a fait régresser la croissance (en volume) des 2,5 % prévus à 1,1 %, ce qui a alourdi les interventions sociales : allocations de chômage, allocation de rentrée scolaire, minimum vieillesse, etc.

L'ensemble de ces dépenses a augmenté de plus de 20 % en un an. Pour les deux raisons précédentes (plus de prix, moins de croissance), les concours aux entreprises nationales ont également dérapé. Le collectif budgétaire n'enregistrait qu'un milliard de déficit supplémentaire, grâce aux plus-values de recettes qui ont compensé cet alourdissement des charges.